Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome21.djvu/511

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ces créatures semblaient avoir ensemble une conversation assez animée.

« Hélas ! dit la princesse tout bas, ces gens-là parlent sans doute de leurs amours, et il ne m’est pas permis de prononcer le nom de ce que j’aime ! »

La vieille tenait à la main une chaîne légère d’acier, longue de cent brasses, à laquelle était attaché un taureau qui paissait dans la prairie. Ce taureau était blanc, fait au tour, potelé, léger même, ce qui est bien rare. Ses cornes étaient d’ivoire. C’était ce qu’on vit jamais de plus beau dans son espèce. Celui de Pasiphaé, celui dont Jupiter prit la figure pour enlever Europe, n’approchaient pas de ce superbe animal. La charmante génisse en laquelle Isis fut changée aurait à peine été digne de lui.

Dès qu’il vit la princesse, il courut vers elle avec la rapidité d’un jeune cheval arabe qui franchit les vastes plaines et les fleuves de l’antique Saana, pour s’approcher de la brillante cavale qui règne dans son cœur, et qui fait dresser ses oreilles. La vieille faisait ses efforts pour le retenir ; le serpent semblait l’épouvanter par ses sifflements ; le chien le suivait et lui mordait ses belles jambes ; l’ânesse traversait son chemin, et lui détachait des ruades pour le faire retourner. Le gros poisson remontait le Nil, et, s’élançant hors de l’eau, menaçait de le dévorer ; le bouc restait immobile et saisi de crainte ; le corbeau voltigeait autour de la tête du taureau, comme s’il eût voulu s’efforcer de lui crever les yeux. La colombe seule l’accompagnait par curiosité, et lui applaudissait par un doux murmure.

Un spectacle si extraordinaire rejeta Mambrès dans ses sérieuses pensées. Cependant le taureau blanc, tirant après lui sa chaîne et la vieille, était déjà parvenu auprès de la princesse, qui était saisie d’étonnement et de peur. Il se jette à ses pieds, il les baise, il verse des larmes, il la regarde avec des yeux où régnait un mélange inouï de douleur et de joie. Il n’osait mugir, de peur d’effaroucher la belle Amaside. Il ne pouvait parler. Un faible usage de la voix accordé par le ciel à quelques animaux lui était interdit ; mais toutes ses actions étaient éloquentes. Il plut beaucoup à la princesse. Elle sentit qu’un léger amusement pouvait suspendre pour quelques moments les chagrins les plus douloureux. « Voilà, disait-elle, un animal bien aimable ; je voudrais l’avoir dans mon écurie. »

À ces mots, le taureau plia les quatre genoux, et baisa la terre. « Il m’entend ! s’écria la princesse ; il me témoigne qu’il veut m’appartenir. Ah ! divin mage ! divin eunuque, donnez-moi cette con-