Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome21.djvu/512

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solation, achetez ce beau chérubin[1] ; faites le prix avec la vieille, à laquelle il appartient sans doute. Je veux que cet animal soit à moi ; ne me refusez pas cette consolation innocente. » Toutes les dames du palais joignirent leurs instances aux prières de la princesse. Mambrès se laissa toucher, et alla parler à la vieille.


CHAPITRE II.
COMMENT LE SAGE MAMBRÈS, CI-DEVANT SORCIER DE PHARAON, RECONNUT LA VIEILLE, ET COMMENT IL FUT RECONNU PAR ELLE.


« Madame, lui dit-il, vous savez que les filles, et surtout les princesses, ont besoin de se divertir. La fille du roi est folle de votre taureau ; je vous prie de nous le vendre, vous serez payée argent comptant.

— Seigneur, lui répondit la vieille, ce précieux animal n’est point à moi. Je suis chargée, moi et toutes les bêtes que vous avez vues, de le garder avec soin, d’observer toutes ses démarches, et d’en rendre compte. Dieu me préserve de vouloir jamais vendre cet animal impayable ! »

Mambrès, à ce discours, se sentit éclairé de quelques traits d’une lumière confuse qu’il ne démêlait pas encore. Il regarda la vieille au manteau gris avec plus d’attention : « Respectable dame, lui dit-il, ou je me trompe, ou je vous ai vue autrefois.

— Je ne me trompe pas, répondit la vieille ; je vous ai vu, seigneur, il y a sept cents ans, dans un voyage que je fis de Syrie en Égypte, quelques mois après la destruction de Troie, lorsque Hiram régnait à Tyr, et Nephel Kerès sur l’antique Égypte.

— Ah ! madame, s’écria le vieillard, vous êtes l’auguste pythonisse d’Endor.

— Et vous, seigneur, lui dit la pythonisse en l’embrassant, vous êtes le grand Mambrès d’Égypte.

— Ô rencontre imprévue ! jour mémorable ! décrets éternels ! dit Mambrès ; ce n’est pas, sans doute, sans un ordre de la Providence universelle que nous nous retrouvons dans cette prairie sur les rivages du Nil, près de la superbe ville de Tanis. Quoi ! c’est vous, madame, qui êtes si fameuse sur les bords de votre petit Jourdain, et la première personne du monde pour faire venir des ombres.

  1. Chérub, en chaldéen et en syriaque, signifie un bœuf. (Note de Voltaire.)