Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome21.djvu/524

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Dieu soit faite ! Pourvu que je retrouve notre taureau blanc, il ne m’importe ni du lac de Sirbon, ni du lac de Mœris, ni du lac de Sodome ; je ne veux que lui faire du bien, et à vous aussi. Mais pourquoi m’avez-vous parlé de Daniel, d’Ezéchiel et de Jérémie ?

— Ah ! seigneur, reprit la vieille, vous savez aussi bien que moi l’intérêt qu’ils ont eu dans cette grande affaire : mais je n’ai point de temps à perdre ; je ne veux point être pendue ; je ne veux point que mon taureau soit brûlé, ou noyé, ou mangé. Je m’en vais auprès du lac de Sirbon par Canope, avec mon serpent et mon poisson. Adieu ! »

Le taureau la suivit tout pensif, après avoir témoigné au bienfaisant Mambrès la reconnaissance qu’il lui devait.

Le sage Mambrès était dans une cruelle inquiétude. Il voyait bien qu’Amasis, roi de Tanis, désespéré de la folle passion de sa fille pour cet animal, et la croyant ensorcelée, ferait poursuivre partout le malheureux taureau, et qu’il serait infailliblement brûlé, en qualité de sorcier, dans la place publique de Tanis, ou livré au poisson de Jonas, ou rôti, ou servi sur table. Il voulait à quelque prix que ce fût, épargner ce désagrément à la princesse.

Il écrivit une lettre au grand prêtre de Memphis, son ami, en caractères sacrés, sur du papier d’Égypte qui n’était pas encore en usage. Voici les propres mots de sa lettre :

« Lumière du monde, lieutenant d’Isis, d’Osiris et d’Horus, chef des circoncis, vous dont l’autel est élevé, comme de raison, au-dessus de tous les trônes ; j’apprends que votre dieu le bœuf Apis est mort. J’en ai un autre à votre service. Venez vite avec vos prêtres le reconnaître, l’adorer, et le conduire dans l’écurie de votre temple. Qu’Isis, Osiris et Horus, vous aient en leur sainte et digne garde ; et vous, messieurs les prêtres de Memphis, en leur sainte garde !

« Votre affectionné ami,
« Mambrès. »

Il fit quatre duplicata de cette lettre, de crainte d’accident, et les enferma dans des étuis de bois d’ébène le plus dur. Puis, appelant à lui quatre courriers qu’il destinait à ce message (c’étaient l’ânesse, le chien, le corbeau et le pigeon), il dit à l’ânesse : « Je sais avec quelle fidélité vous avez servi Balaam, mon confrère ; servez-moi de même. Il n’y a point d’onocrotale qui vous égale à la course ; allez, ma chère amie, rendez ma lettre en main propre, et revenez. » L’ânesse lui répondit : « Comme j’ai servi