Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome21.djvu/579

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y a-t-il quelques obscurités, quelques vessies ; peut-être s’est-il trompé sur la réalité de l’infini actuel et de l’espace, etc. ; peut-être, en se faisant commentateur de Dieu, a-t-il imité quelquefois les commentateurs d’Homère, qui lui supposent des idées auxquelles Homère ne pensa jamais.


À ces mots d’infini, d’espace, d’Homère, de commentateurs, le bonhomme Parouba et sa fille, et quelques Anglais même, voulurent aller prendre l’air sur le tillac ; mais Freind ayant promis d’être intelligible, ils demeurèrent ; et moi, j’expliquais tout bas à Parouba quelques mots un peu scientifiques que des gens nés sur les montagnes bleues ne pouvaient entendre aussi commodément que des docteurs d’Oxford et de Cambridge.

L’ami Freind continua donc ainsi :


Il serait triste que, pour être sûr de l’existence de Dieu, il fût nécessaire d’être un profond métaphysicien : il n’y aurait tout au plus en Angleterre qu’une centaine d’esprits bien versés ou renversés dans cette science ardue du pour et du contre qui fussent capables de sonder cet abîme, et le reste de la terre entière croupirait dans une ignorance invincible, abandonné en proie à ses passions brutales, gouverné par le seul instinct, et ne raisonnant passablement que sur les grossières notions de ses intérêts charnels. Pour savoir s’il est un dieu, je ne vous demande qu’une chose, c’est d’ouvrir les yeux.

BIRTON.

Ah ! je vous vois venir : vous recourez à ce vieil argument tant rebattu que le soleil tourne sur son axe en vingt-cinq jours et demi, en dépit de l’absurde Inquisition de Rome ; que la lumière nous arrive réfléchie de Saturne en quatorze minutes, malgré les suppositions absurdes de Descartes ; que chaque étoile fixe est un soleil comme le nôtre, environné de planètes ; que tous ces astres innombrables, placés dans les profondeurs de l’espace, obéissent aux lois mathématiques découvertes et démontrées par le grand Newton ; qu’un catéchiste annonce Dieu aux enfants, et que Newton le prouve aux sages, comme le dit un philosophe frenchman, persécuté dans son drôle de pays pour l’avoir dit[1].

  1. Voltaire. C’est un anachronisme : les événements se passent au commencement du xviiie siècle, et c’est plus tard que Voltaire a dit ce qu’il rapporte ici ; voyez tome XVII, pages 458 et 476 ; tome XX, page 506 ; et dans les Mélanges, année 1767, la dixième des Lettres à Son Altesse le prince de *** ; année 1786, le paragraphe v des Remontrances à A.-J. Rustan.