Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome21.djvu/587

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passa sa vie à se contredire, prodiguait dans ses écrits la figure de l’exagération : il traitait les tremblements de terre comme la grâce efficace et la damnation éternelle de tous les petits enfants morts sans baptême. N’a-t-il pas dit, dans son trente-septième sermon, avoir vu en Éthiopie des races d’hommes pourvues d’un grand œil au milieu du front, comme les cyclopes, et des peuples entiers sans tête ?

Nous, qui ne sommes pas Pères de l’Église, nous ne devons aller ni au delà ni en deçà de la vérité : cette vérité est que, sur cent mille habitations, on en peut compter tout au plus une détruite chaque siècle par les feux nécessaires à la formation de ce globe.

Le feu est tellement nécessaire à l’univers entier que, sans lui, il n’y aurait sur la terre ni animaux, ni végétaux, ni minéraux : il n’y aurait ni soleil ni étoiles dans l’espace. Ce feu, répandu sous la première écorce de la terre, obéit aux lois générales établies par Dieu même ; il est impossible qu’il n’en résulte quelques désastres particuliers : or on ne peut pas dire qu’un artisan soit un mauvais ouvrier quand une machine immense, formée par lui seul, subsiste depuis tant de siècles sans se déranger. Si un homme avait inventé une machine hydraulique qui arrosât toute une province et la rendît fertile, lui reprocheriez-vous que l’eau qu’il vous donnerait noyât quelques insectes ?

Je vous ai prouvé que la machine du monde est l’ouvrage d’un être souverainement intelligent et puissant : vous, qui êtes intelligents, vous devez l’admirer ; vous, qui êtes comblés de ses bienfaits, vous devez l’aimer.

Mais les malheureux, dites-vous, condamnés à souffrir toute leur vie, accablés de maladies incurables, peuvent-ils l’admirer et l’aimer ? Je vous dirai, mes amis, que ces maladies si cruelles viennent presque toutes de notre faute, ou de celle de nos pères, qui ont abusé de leurs corps ; et non de la faute du grand Fabricateur. On ne connaissait guère de maladie que celle de la décrépitude dans toute l’Amérique septentrionale, avant que nous vous y eussions apporté cette eau de mort que nous appelons eau-de-vie, et qui donne mille maux divers à quiconque en a trop bu. La contagion secrète des Caraïbes, que vous autres jeunes gens vous appelez pox, n’était qu’une indisposition légère dont nous ignorons la source, et qu’on guérissait en deux jours, soit avec du gaïac, soit avec du bouillon de tortue ; l’incontinence des Européans transplanta dans le reste du monde cette incommodité, qui prit parmi nous un caractère si funeste, et qui est devenue un fléau