Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome21.djvu/588

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si abominable. Nous lisons que le pape Léon X, un archevêque de Mayence nommé Henneberg, le roi de France François Ier, en moururent.

La petite vérole, née dans l’Arabie Heureuse, n’était qu’une faible éruption, une ébullition passagère sans danger, une simple dépuration du sang : elle est devenue mortelle en Angleterre, comme dans tant d’autres climats ; notre avarice l’a portée dans ce nouveau monde ; elle l’a dépeuplé.

Souvenons-nous que, dans le poëme de Milton, ce benêt d’Adam demande à l’ange Gabriel s’il vivra longtemps. Oui, lui répond l’ange, si tu observes la grande règle Rien de trop. Observez tous cette règle, mes amis ; oseriez-vous exiger que Dieu vous fit vivre sans douleur des siècles entiers pour prix de votre gourmandise, de votre ivrognerie, de votre incontinence, de votre abandonnement à d’infâmes passions qui corrompent le sang, et qui abrègent nécessairement la vie ?


J’approuvai cette réponse, Parouba en fut assez content ; mais Birton ne fut pas ébranlé, et je remarquai dans les yeux de Jenni qu’il était encore très-indécis. Birton répliqua en ces termes :


Puisque vous vous êtes servi de lieux communs mêlés avec quelques réflexions nouvelles, j’emploierai aussi un lieu commun auquel on n’a jamais pu répondre que par des fables et du verbiage. S’il existait un Dieu si puissant, si bon, il n’aurait pas mis le mal sur la terre ; il n’aurait pas dévoué ses créatures à la douleur et au crime. S’il n’a pu empêcher le mal, il est impuissant ; s’il l’a pu et ne l’a pas voulu, il est barbare[1].

Nous n’avons des annales que d’environ huit mille années, conservées chez les brachmanes ; nous n’en avons que d’environ cinq mille ans chez les Chinois ; nous ne connaissons rien que d’hier ; mais dans cet hier tout est horreur. On s’est égorgé d’un bout de la terre à l’autre, et on a été assez imbécile pour donner le nom de grands hommes, de héros, de demi-dieux, de dieux même, à ceux qui ont fait assassiner le plus grand nombre des hommes leurs semblables.

Il restait dans l’Amérique deux grandes nations civilisées[2] qui

  1. Ce dilemme est d’Épicure ; voyez dans les Mélanges, année 1772, le paragraphe xviii de : Il faut prendre un parti : Voltaire a souvent cité ce dilemme : voyez tome XI, page 94 ; tome XX, pages 296-300 ; et dans les Mélanges, année 1777, le second des Dialogues d’Évhémère.
  2. Les Péruviens et les Mexicains.