Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome21.djvu/599

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ni récompense, c’est être véritablement athée. À quoi servirait l’idée d’un dieu qui n’aurait sur vous aucun pouvoir ? C’est comme si on disait : il y a un roi de la Chine qui est très-puissant ; je réponds : Grand bien lui fasse ; qu’il reste dans son manoir et moi dans le mien : je ne me soucie pas plus de lui qu’il ne se soucie de moi ; il n’a pas plus de juridiction sur ma personne qu’un chanoine de Windsor n’en a sur un membre de notre parlement ; alors je suis mon dieu à moi-même, je sacrifie le monde entier à mes fantaisies si j’en trouve l’occasion ; je suis sans loi, je ne regarde que moi. Si les autres êtres sont moutons, je me fais loup ; s’ils sont poules, je me fais renard.

Je suppose, ce qu’à Dieu ne plaise, que toute notre Angleterre soit athée par principes ; je conviens qu’il pourra se trouver plusieurs citoyens qui, nés tranquilles et doux, assez riches pour n’avoir pas besoin d’être injustes, gouvernés par l’honneur, et par conséquent attentifs à leur conduite, pourront vivre ensemble en société : ils cultiveront les beaux-arts, par qui les mœurs s’adoucissent ; ils pourront vivre dans la paix, dans l’innocente gaieté des honnêtes gens ; mais l’athée pauvre et violent, sûr de l’impunité, sera un sot s’il ne vous assassine pas pour voler votre argent. Dès lors tous les liens de la société sont rompus, tous les crimes secrets inondent la terre, comme les sauterelles, à peine d’abord aperçues, viennent ravager les campagnes ; le bas peuple ne sera qu’une horde de brigands, comme nos voleurs, dont on ne pend pas la dixième partie à nos sessions ; ils passent leur misérable vie dans des tavernes avec des filles perdues, ils les battent, ils se battent entre eux ; ils tombent ivres au milieu de leurs pintes de plomb dont ils se sont cassé la tête ; ils se réveillent pour voler et pour assassiner ; ils recommencent chaque jour ce cercle abominable de brutalités.

Qui retiendra les grands et les rois dans leurs vengeances, dans leur ambition, à laquelle ils veulent tout immoler ? Un roi athée est plus dangereux qu’un Ravaillac fanatique.

Les athées fourmillaient en Italie au xve siècle ; qu’en arriva-t-il ? Il fut aussi commun d’empoisonner que de donner à souper, et d’enfoncer un stylet dans le cœur de son ami que de l’embrasser ; il y eut des professeurs du crime, comme il y a aujourd’hui des maîtres de musique et de mathématique. On choisissait exprès les temples pour y assassiner les princes au pied des autels. Le pape Sixte IV et un archevêque de Florence[1] firent assassiner

  1. Salviati ; voyez tome XII, pages 168 et suiv.