Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome21.djvu/600

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ainsi les deux princes les plus accomplis de l’Europe. (Mon cher Sherloc, dites, je vous prie, à Parouba et à ses enfants ce que c’est qu’un pape et un archevêque, et dites-leur surtout qu’il n’est plus de pareils monstres.) Mais continuons. Un duc de Milan fut assassiné de même au milieu d’une église[1]. On ne connaît que trop les étonnantes horreurs d’Alexandre VI[2]. Si de telles mœurs avaient subsisté, l’Italie aurait été plus déserte que ne l’a été le Pérou après son invasion.

La croyance d’un Dieu rémunérateur des bonnes actions, punisseur des méchants, pardonneur des fautes légères, est donc la croyance la plus utile au genre humain : c’est le seul frein des hommes puissants, qui commettent insolemment les crimes publics ; c’est le seul frein des hommes qui commettent adroitement les crimes secrets. Je ne vous dis pas, mes amis, de mêler à cette croyance nécessaire des superstitions qui la déshonoreraient, et qui même pourraient la rendre funeste : l’athée est un monstre qui ne dévorera que pour apaiser sa faim ; le superstitieux est un autre monstre qui déchirera les hommes par devoir. J’ai toujours remarqué qu’on peut guérir un athée, mais on ne guérit jamais le superstitieux radicalement : l’athée est un homme d’esprit qui se trompe mais qui pense par lui-même, le superstitieux est un sot brutal qui n’a jamais eu que les idées des autres, l’athée violera Iphigénie prête d’épouser Achille, mais le fanatique l’égorgera pieusement sur l’autel, et croira que Jupiter lui en aura beaucoup d’obligation ; l’athée dérobera un vase d’or dans une église pour donner à souper à des filles de joie, mais le fanatique célébrera un auto-da-fé dans cette église, et chantera un cantique juif à plein gosier, en faisant brûler des juifs. Oui, mes amis, l’athéisme et le fanatisme sont les deux pôles d’un univers de confusion et d’horreur. La petite zone de la vertu est entre ces deux pôles : marchez d’un pas ferme dans ce sentier ; croyez un dieu bon, et soyez bons. C’est tout ce que les grands législateurs Locke et Penn demandent à leurs peuples.

Répondez-moi, M. Birton, vous et vos amis ; quel mal peut vous faire l’adoration d’un dieu jointe au bonheur d’être honnête homme ? Nous pouvons tous être attaqués d’une maladie mortelle au moment où je vous parle : qui de nous alors ne voudrait pas avoir vécu dans l’innocence ? Voyez comme notre méchant

  1. Voyez tome XII, page 167.
  2. Voyez ibid., page 83 ; et dans les Mélanges, année 1768, l’opuscule intitulé les Droits des hommes, etc.