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LETTRE I.

mais il ne baptisa jamais personne ; nous ne sommes pas les disciples de Jean, mais du Christ. — Ah[1] ! comme vous seriez brûlé par la sainte Inquisition, m’écriai-je… Au nom de Dieu, cher homme, que je vous baptise ! — S’il ne fallait que cela pour condescendre à ta faiblesse, nous le ferions volontiers, repartit-il gravement ; nous ne condamnons personne pour user de la cérémonie du Baptême, mais nous croyons que ceux qui professent une religion toute sainte et toute spirituelle doivent s’abstenir, autant qu’ils le peuvent, des cérémonies judaïques. — En voici bien d’une autre, m’écriai-je ; Des cérémonies judaïques ! — Oui, mon ami[2], continua-t-il, et si judaïques que plusieurs juifs encore aujourd’hui usent quelquefois du Baptême de Jean. Consulte l’Antiquité ; elle t’apprendra que Jean ne fit que renouveler cette pratique, laquelle était en usage longtemps avant lui parmi les Hébreux, comme le pèlerinage de la Mecque l’était parmi les ismaélites. Jésus voulut bien recevoir le Baptême de Jean, de même qu’il était[3] soumis à la Circoncision ; mais, et la Circoncision, et le lavement d’eau doivent être tous deux abolis par le Baptême du Christ, ce Baptême de l’esprit, cette ablution de l’âme qui sauve les hommes. Aussi le précurseur Jean[4] disait : Je vous baptise à la vérité avec de l’eau, mais un autre viendra après moi, plus puissant que moi, et dont je ne suis pas digne de porter les sandales ; celui−là vous baptisera avec le feu et le Saint-Esprit. Aussi le grand Apôtre des Gentils, Paul, écrit aux Corinthiens[5] : Le Christ ne m’a pas envoyé pour baptiser, mais pour prêcher l’Évangile ; aussi ce même Paul ne baptisa jamais avec de l’eau que deux personnes, encore fut-ce malgré lui ; il circoncit son disciple Timothée ; les autres Apôtres circoncisaient aussi tous ceux qui voulaient l’être[6]. Es-tu circoncis ? ajouta-t-il. Je lui répondis que je n’avais pas cet honneur. « Eh bien, dit−il, ami[7], tu es chrétien sans être circoncis, et moi, sans être baptisé.

Voilà comme mon saint homme abusait assez spécieusement de trois ou quatre passages de la Sainte Écriture, qui semblaient favoriser sa secte ; il oubliait[8] de la meilleure foi du monde une centaine de passages qui l’écrasaient. Je me gardai bien de lui

  1. 1734. « Hélas ! comme vous seriez brûlé en pays d’inquisition, pauvre homme !… Eh ! pour l’amour de Dieu, que je vous baptise et que je vous fasse chrétien ! »
  2. 1734. « Oui, mon fils. »
  3. 1734. « Qu’il s’était. »
  4. Chap. i. v. 26-27.
  5. I, i, 17.
  6. 1734. « Tous ceux qui voulaient. »
  7. 1734. « L’ami. »
  8. 1734. « Mais il oubliait. »