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LETTRE XV.

M. Wilston[1], il a sérieusement affirmé que du temps du déluge il y avait eu une comète qui avait inondé notre globe, et il a eu l’injustice de s’étonner qu’on se soit moqué de lui. L’antiquité pensait à peu près dans le goût de Wilston ; elle croyait que les comètes étaient toujours les avant-courrières de quelque grand malheur sur la terre. Newton au contraire soupçonne qu’elles sont très-bienfaisantes, et que les fumées qui en sortent ne servent qu’à secourir et vivifier les planètes qui s’imbibent dans leur cours de toutes ces particules que le soleil a détachées des comètes. Ce sentiment est du moins plus probable que l’autre.

Ce n’est pas tout, si cette force de gravitation, d’attraction, agit dans tous les globes célestes, elle agit sans doute sur toutes les parties de ces globes : car, si les corps s’attirent en raison de leurs masses, ce ne peut être qu’en raison de la quantité de leurs parties ; et si ce pouvoir est logé dans le tout, il l’est sans doute dans la moitié, il l’est dans le quart, dans la huitième partie, ainsi jusqu’à l’infini[2]. Voilà donc l’attraction qui est le grand ressort qui fait mouvoir toute la nature.

Newton avait bien prévu, après avoir démontré l’existence de ce principe, qu’on se révolterait contre ce seul nom : dans plus d’un endroit de son livre il précautionne son lecteur contre l’attraction même, il l’avertit de ne la pas confondre avec les qualités occultes des anciens, et de se contenter de connaître qu’il y a dans tous les corps une force centrale qui agit d’un bout de l’univers à l’autre sur les corps les plus proches et sur les plus éloignés, suivant les lois immuables de la mécanique.

Il est étonnant qu’après les protestations solennelles de ce grand philosophe, M. Saurin[3] et M. de Fontenelle, qui eux-mêmes méritent ce nom, lui aient reproché nettement les chimères du péripatétisme : M. Saurin, dans les Mémoires de l’Académie, de 1709 ; et M. de Fontenelle, dans l’éloge même de M. Newton.

Presque tous les Français, savants et autres, ont répété ce reproche. On entend dire partout : Pourquoi Newton ne s’est-il

  1. 1734. « Un géomètre anglais, nommé Wilston, non moins chimérique que géomètre, a sérieusement, etc. »
  2. Dans l’édition de 1734 il y avait : « …Jusqu’à l’infini. De plus, si ce pouvoir n’était pas également dans chaque partie, il y aurait toujours quelques côtés du globe qui graviteraient plus que les autres, ce qui n’arrive pas : donc ce pouvoir existe réellement dans toute la matière, et dans les plus petites particules de la matière. Ainsi voilà l’attraction qui… »
  3. Joseph Saurin, à qui Voltaire a donné place dans son Catalogue des écrivains, en tête du Siècle de Louis XIV ; voyez tome XIV.