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SUR M. POPE, ETC.

C’est de Prior qu’est l’Histoire de l’Ame ; cette histoire est la plus naturelle qu’on ait faite jusqu’à présent de cet être si bien senti et si mal connu. L’âme est d’abord aux extrémités du corps, dans les pieds et dans les mains des enfants ; et de là elle se place insensiblement au milieu du corps dans l’âge de puberté ; ensuite elle monte au cœur, et là elle produit les sentiments de l’amour et de l’héroïsme ; elle s’élève jusqu’à la tête dans un âge plus mûr : elle y raisonne comme elle peut ; et, dans la vieillesse, on ne sait plus ce qu’elle devient : c’est la sève d’un vieil arbre, qui s’évapore et qui ne se répare plus. Peut-être cet ouvrage est-il trop long : toute plaisanterie doit être courte, et même le sérieux devrait bien être court aussi.

Ce même Prior fit un petit poëme sur la fameuse bataille d’Hochstedt. Cela ne vaut pas son Histoire de l’Ame ; il n’y a de bon que cette apostrophe à Boileau :

Satirique flatteur, toi qui pris tant de peine
Pour chanter que Louis n’a point passé le Rhin.

Notre plénipotentiaire finit par paraphraser en quinze cents vers[1] ces mots attribués à Salomon, que Tout est vanité. On en pourrait faire quinze mille sur ce sujet ; mais malheur à qui dit tout ce qu’il peut dire.

Enfin, la reine Anne étant morte, le ministère ayant changé, la paix que Prior avait entamée étant en horreur, Prior n’eut de ressource qu’une édition de ses œuvres par une souscription de son parti ; après quoi il mourut en philosophe[2], comme meurt ou croit mourir tout honnête Anglais.

Je voudrais donner aussi quelques idées des poésies de milord Roscommon[3] de milord Dorset[4] ; mais je sens qu’il me faudrait faire un gros livre, et qu’après bien de la peine je ne vous donnerais qu’une idée fort imparfaite de tous ces ouvrages. La poésie est une espèce de musique : il faut l’entendre pour en juger. Quand je vous traduis quelques morceaux de ces poésies étrangères, je vous note imparfaitement leur musique ; mais je ne puis exprimer le goût de leur chant.

    de la sagacité et une grande force de tête. Cette observation suffit pour détruire l’opinion exagérée de Rousseau sur l’éducation négative. (K.)

  1. Le poëme de Prior a plus de deux mille sept cents vers. Voltaire n’avait pas perdu son temps à les compter. (B.)
  2. En 1721.
  3. Né vers 1633, mort en 1684.
  4. Né en 1637, mort en 1705.