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RÉPONSE À CES OBJECTIONS.

de dire que Dieu, infiniment sage et infiniment bon, a donné la vie à toutes les créatures pour être dévorées les unes par les autres. En effet, si l’on considère tous les animaux, on verra que chaque espèce ci un instinct irrésistible qui le force à détruire une autre espèce. À l’égard des misères de l’homme, il y a de quoi faire des reproches à la Divinité pendant toute notre vie. On a beau nous dire que la sagesse et la bonté de Dieu ne sont point faites comme les nôtres, cet argument ne sera d’aucune force sur l’esprit de bien des gens, qui répondront qu’ils ne peuvent juger de la justice que par l’idée même qu’on suppose que Dieu leur en a donnée, que l’on ne peut mesurer qu’avec la mesure que l’on a, et qu’il est aussi impossible que nous ne croyions pas très-barbare un être qui se conduirait comme un homme barbare qu’il est impossible que nous ne pensions pas qu’un être quelconque a six pieds quand nous l’avons mesuré avec une toise, et qu’il nous paraît avoir cette grandeur.

Si on nous réplique, ajouteront-ils, que notre mesure est fautive, on nous dira une chose qui semble impliquer contradiction : car c’est Dieu lui-même qui nous aura donné cette fausse idée ; donc Dieu ne nous aura faits que pour nous tromper. Or, c’est dire qu’un être qui ne peut avoir que des perfections jette ses créatures dans l’erreur, qui est, à proprement parler, la seule imperfection ; c’est visiblement se contredire. Enfin les matérialistes finiront par dire : Nous avons moins d’absurdités à dévorer dans le système de l’athéisme que dans celui du déisme : car, d’un côté, il faut à la vérité, que nous concevions éternel et infini ce monde que nous voyons ; mais, de l’autre, il faut que nous imaginions un autre être infini et éternel, et que nous y ajoutions la création, dont nous ne pouvons avoir d’idée. Il nous est donc plus facile, concluront-ils, de ne pas croire un Dieu que de le croire.

réponse à ces objections.

Les arguments contre la création se réduisent à montrer qu’il nous est impossible de la concevoir, c’est-à-dire d’en concevoir la manière, mais non pas qu’elle soit impossible en soi : car, pour que la création fût impossible, il faudrait d’abord prouver qu’il est impossible qu’il y ait un Dieu ; mais, bien loin de prouver cette impossibilité, on est obligé de reconnaître qu’il est impossible qu’il n’existe pas. Cet argument, qu’il faut qu’il y ait hors de nous un être infini, éternel, immense, tout-puissant, libre, intelligent, et les ténèbres qui accompagnent cette lumière, ne