parvenir à rendre notre raison souveraine de tous nos désirs ; il y aura toujours dans notre âme comme dans notre corps des mouvements involontaires. Nous ne sommes ni libres, ni sages, ni forts, ni sains, ni spirituels, que dans un très-petit degré. Si nous étions toujours libres, nous serions ce que Dieu est. Contentons-nous d’un partage convenable au rang que nous tenons dans la nature. Mais ne nous figurons pas que nous manquons des choses mêmes dont nous sentons la jouissance, et parce que nous n’avons pas les attributs d’un Dieu ne renonçons pas aux facultés d’un homme.
Au milieu d’un bal ou d’une conversation vive, ou dans les douleurs d’une maladie qui appesantira ma tête, j’aurai beau vouloir chercher combien fait la trente-cinquième partie de quatre-vingt-quinze tiers et demi multipliés par vingt-cinq dix-neuvièmes et trois quarts, je n’aurai pas la liberté de faire une combinaison pareille. Mais un peu de recueillement me rendra cette puissance, que j’avais perdue dans le tumulte. Les ennemis les plus déterminés de la liberté sont donc forcés d’avouer que nous avons une volonté qui est obéie quelquefois par nos sens. « Mais cette volonté, disent-ils, est nécessairement déterminée comme une balance toujours emportée par le plus grand poids ; l’homme ne veut que ce qu’il juge le meilleur ; son entendement n’est pas le maître de ne pas juger bon ce qui lui parait bon. L’entendement agit nécessairement ; la volonté est déterminée par une volonté absolue : donc l’homme n’est pas libre. »
Cet argument, qui est très-éblouissant, mais qui dans le fond n’est qu’un sophisme, a séduit beaucoup de monde, parce que les hommes ne font presque jamais qu’entrevoir ce qu’ils examinent.
Voici en quoi consiste le défaut de ce raisonnement. L’homme ne peut certainement vouloir que les choses dont l’idée lui est présente. Il ne pourrait avoir envie d’aller à l’Opéra s’il n’avait l’idée de l’Opéra ; et il ne souhaiterait point d’y aller et ne se déterminerait point à y aller si son entendement ne lui représentait point ce spectacle comme une chose agréable. Or, c’est en cela même que consiste sa liberté : c’est dans le pouvoir de se déterminer soi-même à faire ce qui lui paraît bon ; vouloir ce qui ne lui ferait pas plaisir est une contradiction formelle et une impossibilité. L’homme se détermine à ce qui lui semble le meilleur, et cela est incontestable ; mais le point de la question est de savoir s’il a en soi cette force mouvante, ce pouvoir primitif de se déterminer ou non. Ceux qui disent : « L’assentiment de l’esprit