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CONSEILS À UN JOURNALISTE.

Mais de ces goûts la dissemblance extrême,
À le bien prendre, est un faible problème ;
Et quoi qu’on dise, on n’en saurait jamais
Compter que deux, l’un bon, l’autre mauvais.
Par des talents que le travail cultive,
À ce premier pas à pas on arrive ;
Et le public, que sa bonté prévient,
Pour quelque temps s’y fixe et s’y maintient.
Mais, éblouis enfin par l’étincelle
De quelque mode inconnue et nouvelle,
L’ennui du beau nous fait aimer le laid.
Et préférer le moindre au plus parfait, etc.

Voici l’examen :

Ce premier vers : « Tout institut, tout art, toute police », semble avoir le défaut, je ne dis pas d’être prosaïque, car toutes ces épîtres le sont, mais d’être une prose un peu trop faible et dépourvue d’élégance et de clarté.

La police semble n’avoir aucun rapport au goût, dont il est question. De plus, le terme de police doit-il entrer dans des vers ?

Conséquemment est à peine admis dans la prose noble. Cette répétition du mot subordonnée serait vicieuses[1], quand même le terme serait élégant, et semble insupportable, puisque ce terme est une expression plus convenable à des affaires qu’à la poésie.

La dissemblance ne paraît pas le mot propre. La '« dissemblance » des goûts est un faible problème » : je ne crois pas que cela soit français.

À le bien prendre paraît une expression trop inutile et trop basse.

Enfin il semble qu’un problème n’est ni faible ni fort : il peut être aisé ou difficile, et sa solution peut être faible, équivoque, erronée.

Et, quoi qu’on dise, on n’en saurait jamais
Compter que deux, l’un bon, l’autre mauvais.

Non-seulement la poésie aimable s’accommode peu de cet air de dilemme, et d’une pareille sécheresse ; mais la raison semble peu s’accommoder de voir en huit vers « que tout art est subordonné à nos différents goûts, et que cependant il n’y a que deux goûts ».

  1. Au lieu de vicieuse, le Mercure porte ridicule.