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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome22.djvu/324

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ESSAI SUR LA NATURE DU FEU

baisser, lorsque ces divers corps ont été exposés longtemps à une égale température d’air, ainsi que le thermomètre.

De grands philosophes infèrent de cette expérience qu’il y a également du feu dans tous les corps ; mais on ose être d’une opinion différente :

1° Parce que, si cette égale distribution du feu qu’ils supposent était réelle, la glace factice en aurait autant que l’alcool le plus pur ;

2° Parce que les corps s’enflamment beaucoup plus aisément les uns que les autres ; et comme il est certain que nous mettons plus de feu dans des matières que nous préparons, dans de la chaux, par exemple, que dans les mélanges d’autres pierres ; aussi paraît-il vraisemblable que la nature agit en cela comme nous, et distribue plus de feu dans du soufre que dans de l’eau[1].

Il paraît donc très-probable, par toutes les expériences et par le raisonnement, que de deux corps celui qui s’enflammera le plus vite à feu égal contenait dans sa masse plus de substance de feu que l’autre, et qu’ainsi un pied cubique de soufre contient certainement plus de feu qu’un pied cubique de marbre.

Pourquoi donc tous les corps inégalement remplis de feu élémentaire ont-ils cependant un égal degré de chaleur, selon cette expérience faite au thermomètre ?

N’est-ce pas pour ces raisons-ci ? Le feu n’agit dans les corps que par un mouvement proportionnel à sa quantité ; chaque corps résiste à l’action de ce feu qu’il contient ; et quand cette résistance est en équilibre avec l’action du feu, c’est précisément comme si le feu n’agissait pas. Or, dans tous les corps en repos, la résistance de leurs parties et l’action du feu contenu sont en équilibre (car sans cela il n’y aurait point de repos) : donc tous les corps en repos doivent avoir un égal degré de chaleur.

Il faut remarquer qu’il n’y a point de repos parfait ; mais le mouvement interne des corps est si insensible qu’il ne peut faire un effet sensible sur la petite quantité de liqueur contenue dans un thermomètre. On sent assez pourquoi au thermomètre cette chaleur est égale, et ne l’est pas au tact de nos mains.

Pour qu’un corps s’échauffe et ensuite s’enflamme, etc., il s’agit donc de le pénétrer d’un nouveau feu, et de mettre dans un grand mouvement celui qu’il a.

Des charbons ardents, ou les rayons du soleil réunis, appliqués par exemple à du fer, produisent le premier effet ; l’attrition seule produit le second.

  1. Voyez l’article iv de cette seconde partie. (Note de Voltaire.)