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LIBERTÉ DE L'HOMME.

La difficulté d’accorder la liberté de nos actions avec la prescience éternelle de Dieu n’arrêtait point Newton, parce qu’il ne s’engageait pas dans ce labyrinthe ; la liberté une fois établie, ce n’est pas à nous à déterminer comment Dieu prévoit ce que nous ferons librement. Nous ne savons pas de quelle manière Dieu voit actuellement ce qui se passe. Nous n’avons aucune idée de sa façon de voir, pourquoi en aurions-nous de sa façon de prévoir ? Tous ses attributs nous doivent être également incompréhensibles.

Il faut avouer qu’il s’élève contre cette idée de liberté des objections qui effrayent.

D’abord on voit que cette liberté d’indifférence serait un présent bien frivole si elle ne s’étendait qu’à cracher à droite et à gauche, et à choisir pair ou impair. Ce qui importe, c’est que Cartouche et Sha-Nadir aient la liberté de ne pas répandre le sang humain. Il importe peu que Cartouche et Sha-Nadir soient libres d’avancer le pied gauche ou le pied droit.

Ensuite on trouve cette liberté d’indifférence impossible : car comment se déterminer sans raison ? Tu veux ; mais pourquoi veux-tu ? on te propose pair ou non, tu choisis pair, et tu n’en vois pas le motif ; mais ton motif est que pair se présente à ton esprit à l’instant qu’il faut faire un choix.

[1]Tout a sa cause : ta volonté en a donc une. On ne peut donc vouloir qu’en conséquence de la dernière idée qu’on a reçue.

Personne ne peut savoir quelle idée il aura dans un moment : donc personne n’est le maître de ses idées, donc personne n’est le maître de vouloir et de ne pas vouloir.

Si on en était le maître, on pourrait faire le contraire de ce que Dieu a arrangé dans l’enchaînement des choses de ce monde. Ainsi chaque homme pourrait changer, et changerait en effet à chaque instant l’ordre éternel.

  1. Voici ce qu’on lit dans une édition de 1751 :

    « Tout a sa cause : ta volonté en a donc une. On ne peut donc vouloir qu’en conséquence de la dernière idée qu’on a reçue. Cette idée dépend de nos organes.

    « Si ton sang est enflammé, si tes nerfs et tes muscles sont abreuvés d’une liqueur acre, tes pensées sont violentes ; elles sont douces dans une disposition contraire. Tes organes sont hors de ta puissance ; tu reçois tout, tu ne formes rien ; tu ne peux pas plus te donner une idée qu’ajouter un cheveu à ta tête : donc tu n’es pas plus le maître de ta volonté que d’être blond quand tu es né brun.

    « Si on en était le maître, etc. »