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RELIGION NATURELLE.


Il prétendait que Newton faisait Dieu corporel, et cette imputation, comme nous l’avons vu[1], était fondée sur ce mot sensorium organe. Il ajoutait que le Dieu de Newton avait fait de ce monde une fort mauvaise machine, qui a besoin d’être décrassée (c’est le mot dont se sert Leibnitz). Newton avait dit : Manum emendatricem desideraret.

Ce reproche est fondé sur ce que Newton dit qu’avec le temps les mouvements diminueront, les irrégularités des planètes augmenteront, et l’univers périra, ou sera remis en ordre par son auteur.

Il est trop clair par l’expérience que Dieu a fait des machines pour être détruites. Nous sommes l’ouvrage de sa sagesse, et nous périssons ; pourquoi n’en serait-il pas de même du monde ? Leibnitz veut que ce monde soit parfait ; mais si Dieu ne l’a formé que pour durer un certain temps, sa perfection consiste alors à ne durer que jusqu’à l’instant fixé pour sa dissolution.

Quant à la religion naturelle, jamais homme n’en a été plus partisan que Newton, si ce n’est Leibnitz lui-même, son rival en science et en vertu. J’entends par religion naturelle les principes de morale communs au genre humain. Newton n’admettait, à la vérité, aucune notion innée avec nous, ni idées, ni sentiments, ni principes. Il était persuadé avec Locke que toutes les idées nous viennent par les sens, à mesure que les sens se développent ; mais il croyait que Dieu ayant donné les mêmes sens à tous les hommes, il en résulte chez eux les mêmes besoins, les mêmes sentiments, par conséquent les mêmes notions grossières, qui sont partout le fondement de la société. Il est constant que Dieu a donné aux abeilles et aux fourmis quelque chose pour les faire vivre en commun, qu’il n’a donné ni aux loups, ni aux faucons ; il est certain, puisque tous les hommes vivent en société, qu’il y a dans leur être un lien secret par lequel Dieu a voulu les attacher les uns aux autres. Or si, à un certain âge, les idées venues par les mêmes sens à des hommes tous organisés de la même manière ne leur donnaient pas peu à peu les mêmes principes

    fatalisme le plus absolu, les conséquences morales seront les mêmes. En effet, suivant le fatalisme, tout homme était prédéterminé à faire toutes les actions qu’il a faites ; mais lorsqu’il se détermine, il ignore à laquelle des deux actions qu’il se propose il doit se déterminer : il sait seulement que c’est à celle pour laquelle il croira voir des motifs plus puissants. »

    Dans les éditions où est ce chapitre, la première partie se trouve avoir dix chapitres. (B.)

  1. Chapitre ii, page 408.