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PRINCIPES DE LA MATIÈRE.

sommeil ou dans un évanouissement, et les idées que l’on reçoit en reprenant ses esprits ? Quand même il serait possible que Dieu eût fait tout ce que Leibnitz imagine, faudrait-il le croire sur une simple possibilité ? Qu’a-t-il prouvé par tous ces nouveaux efforts ? qu’il avait un très-grand génie ; mais s’est-il éclairé, et a-t-il éclairé les autres ? Chose étrange ! nous ne savons pas comment la terre produit un brin d’herbe, comment une femme fait un enfant, et on croit savoir comment nous faisons des idées !

Si l’on veut savoir ce que Newton pensait sur l’âme, et sur la manière dont elle opère, et lequel de tous ces sentiments il embrassait, je répondrai qu’il n’en suivait aucun[1]. Que savait donc sur cette matière celui qui avait soumis l’infini au calcul, et qui avait découvert les lois de la pesanteur ? Il savait douter.


CHAPITRE VII.
Des premiers principes de la matière. — Examen de la matière première. Méprise de Newton. Il n’y a point de transmutations véritables. Newton admet des atomes.


Il ne s’agit pas ici d’examiner quel système était plus ridicule, ou celui qui faisait l’eau principe de tout, ou celui qui attribuait tout au feu, ou celui qui imagine des dés mis sans intervalle les uns auprès des autres, et tournant je ne sais comment sur eux-mêmes.

Le système le plus plausible a toujours été qu’il y a une matière première indifférente à tout, uniforme et capable de toutes les formes, laquelle, différemment combinée, constitue cet univers. Les éléments de cette matière sont les mêmes : elle se modifie selon les différents moules où elle passe, comme un métal en fusion devient tantôt une urne, tantôt une statue. C’était l’opinion de Descartes, et elle s’accorde très-bien avec la chimère de ses trois éléments. Newton pensait en ce point sur la matière comme Descartes ; mais il était arrivé à cette conclusion par une autre voie. Comme il ne formait presque jamais de jugement qui ne fût fondé, ou sur l’évidence mathématique, ou sur l’expérience, il crut avoir l’expérience pour lui dans cet examen. L’illustre Robert Boyle, le fondateur de la physique en Angleterre, avait longtemps tenu de l’eau dans une cornue à un feu égal ; le

  1. Ce passage est cité dans la lettre de Voltaire au marquis d’Argenson, du 15 avril 1744.