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DE LA FORCE ACTIVE.

qui doit les réunir ; et le voici, comme le docteur Clarke l’a indiqué le premier, quoique un peu durement.

Si vous considérez le temps dans lequel un mobile agit, sa force est au bout de ce temps comme le carré de sa vitesse par sa masse. Pourquoi ? parce que l’espace parcouru par sa masse est comme le carré du temps dans lequel il est parcouru. Or le temps est comme la vitesse : donc alors le corps qui a parcouru cet espace dans ce temps agit au bout de ce temps par sa masse, multipliée par le carré de sa vitesse : ainsi, lorsque la masse 2 parcourt en deux temps un espace quelconque avec deux degrés de vitesse, au bout de ce temps sa force est 2, multipliée par le carré de sa vitesse 2 ; le tout fait 8, et le corps fait une impression comme 8 ; en ce cas les leibnitiens n’ont pas tort. Mais aussi les cartésiens et les newtoniens réunis ont grande raison quand ils considèrent la chose d’un autre sens, car ils disent : En temps égal un corps du poids de quatre livres, avec un degré de vitesse, agit précisément comme un poids d’une livre avec quatre degrés de vitesse, et les corps élastiques qui se choquent rejaillissent toujours en raison réciproque de leur vitesse et de leur masse ; c’est-à-dire qu’une boule double avec un mouvement comme un, et une boule sous-double avec un mouvement comme deux, lancées l’une contre l’autre, arrivent en temps égal, et rejaillissent à des hauteurs égales : donc il ne faut pas considérer ce qui arrive à des mobiles dans des temps inégaux, mais dans des temps égaux, et voilà la source du malentendu. Donc la nouvelle manière d’envisager les forces est vraie en un sens, et fausse en un autre ; donc elle ne sert qu’à compliquer, qu’à embrouiller une idée simple ; donc il faut s’en tenir à l’ancienne règle. Que conclure de ces deux manières d’envisager les choses ? Il faut que tout le monde convienne que l’effet est toujours proportionnel à la cause : or, s’il périt du mouvement dans l’univers, donc la force qui en est cause périt aussi. Voilà ce que pensait Newton sur la plupart des questions qui tiennent à la métaphysique : c’est à vous à juger entre lui et Leibnitz.

Je vais passer à ses découvertes en physique[1].

  1. Le principe de la conservation des forces vives a lieu en général dans la nature, toutes les fois qu’on supposera que les changements se feront par degrés insensibles ; c’est-à-dire tant que la loi de continuité y est observée. Il en est de même du principe de la conservation d’action. Celui de la moindre action est vrai aussi en général, dans ce sens que le mouvement est déterminé par les mêmes équations générales qu’on aurait trouvées en supposant que l’action est un minimum. Mais cela ne suffit pas pour que l’action soit réellement un minimum ; elle peut être un maximum, ou n’être ni l’un ni l’autre, quoique ces équations aient lieu. L’accord de ces équations avec la nature prouve seulement que, dans les changements infiniment petits qui ont lieu dans un temps infiniment petit, la quantité d’action reste la même.

    Au reste, ce serait en vain qu’on croirait voir des causes finales dans ces différentes lois : elles ne sont, comme l’a démontré M. d’Alembert, que la conséquence nécessaire des principes essentiels et mathématiques du mouvement. La découverte de ces principes, qu’il a étendus aux corps solides, flexibles et fluides, en trouvant en même temps le nouveau calcul qui était nécessaire pour y appliquer l’analyse mathématique, doit être regardée comme le plus grand effort que l’esprit humain ait fait dans ce siècle. (K.)