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DE LA VUE.

le voyez au point B ; ils se croisent trop vite, ils se séparent en B, et vont faire une tache sur la rétine. C’est là ce qu’on appelle un œil myope. Cet inconvénient diminue à mesure que l’âge en amène d’autres, qui sont la sécheresse et la faiblesse : elles aplatissent insensiblement cet œil trop rond ; et voilà pourquoi on dit que les vues courtes durent plus longtemps. Ce n’est pas qu’en effet elles durent plus que les autres ; mais c’est qu’à un certain âge, l’œil desséché s’aplatit : alors celui qui était obligé auparavant d’approcher son livre à trois ou quatre pouces de son œil, peut lire quelquefois à un pied de distance ; mais aussi sa vue devient bientôt trouble et confuse, il ne peut voir les objets éloignés : telle est notre condition, qu’un défaut ne se répare presque jamais que par un autre.

Or, tandis que cet œil est trop rond, il lui faut un verre qui empêche les rayons de se réunir si vite : ce verre fera le contraire du premier ; au lieu d’être convexe des deux côtés, il sera un peu concave des deux côtés, et les rayons divergeront dans celui-ci, au lieu qu’ils convergeraient dans l’autre. Ils viendront par conséquent se réunir plus loin qu’ils ne faisaient auparavant dans l’œil ; et alors cet œil jouira d’une vue parfaite. On proportionne la convexité et la concavité des verres aux défauts de nos yeux : c’est ce qui fait que les mêmes lunettes qui rendent la vue nette à un vieillard ne seront d’aucun secours à un autre, car il n’y a ni deux maladies, ni deux hommes, ni deux choses au monde égales, excepté les premiers principes des corps homogènes.

On dit que l’antiquité ne connaissait point ces lunettes ; cependant elle connaissait les miroirs ardents : une vérité découverte n’est pas toujours une raison pour qu’on découvre les autres vérités qui y tiennent. L’attraction de l’aimant était connue, et sa direction échappait aux yeux. La démonstration de la circulation du sang était dans la saignée même que pratiquaient tous les médecins grecs ; et cependant personne ne se doutait que le sang circulât. Mais comment les Grecs et les Romains ont-ils pu sans loupe graver ces pierres dont nous ne pouvons aujourd’hui admirer les détails qu’avec une loupe ? D’un autre côté, si l’art de faire des lunettes fut connu des anciens, comment a-t-il péri ? Un secret peut se perdre, mais tout art utile se perpétue. On croit que c’est du temps de Roger Bacon, au commencement du xiiie siècle, que l’on trouva ces lunettes appelées besicles, et les loupes qui donnent de nouveaux yeux aux vieillards : car il est le premier qui en parle avec quelque netteté, et on ne commença