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TROISIÈME PARTIE. — CHAPITRE V.

(au IVe livre de son Epitome) que le soleil a une âme, non pas une âme intelligente, animum, mais une âme végétante, agissante, animam ; qu’en tournant sur lui-même il attire à soi les planètes ; mais que les planètes ne tombent pas dans le soleil, parce qu’elles font aussi une révolution sur leur axe. En faisant cette révolution, dit-il, elles présentent au soleil tantôt un côté ami, tantôt un côté ennemi : le côté ami est attiré, et le côté ennemi est repoussé ; ce qui produit le cours annuel des planètes dans des ellipses.

Il faut avouer, pour l’humiliation de la philosophie, que c’est de ce raisonnement, si peu philosophique, qu’il avait conclu que le soleil devait tourner sur son axe : l’erreur le conduisit par hasard à la vérité ; il devina la rotation du soleil sur lui-même plus de quinze ans avant que les yeux de Galilée la reconnussent à l’aide des télescopes.

Kepler ajoute, dans son même Epitome, page 495, que la masse du soleil, la masse de tout l’éther, et la masse des sphères des étoiles fixes, sont parfaitement égales, et que ce sont les trois symboles de la très-sainte Trinité.

Le lecteur qui, en lisant ces éléments, aura vu de si grandes rêveries à côté de si sublimes vérités, dans un aussi grand homme que Kepler, dans un aussi profond mathématicien que Kircher, ne doit point en être surpris ; on peut être un génie en fait de calcul et d’observations, et se servir mal quelquefois de sa raison pour le reste ; il y a tels esprits qui ont besoin de s’appuyer sur la géométrie, et qui tombent quand ils veulent marcher seuls. Il n’est donc pas étonnant que Kepler, en découvrant ces lois de l’astronomie, n’ait pas connu la raison de ces lois[1].

Cette raison est que la force centripète est précisément en proportion inverse du carré de la distance du centre de mouvement, vers lequel ces forces sont dirigées : c’est ce qu’il faut suivre attentivement. Il faut bien entendre qu’en un mot cette loi de la gravitation est telle que tout corps qui approche trois fois plus du centre de son mouvement gravite neuf fois davantage ; que, s’il

  1. On n’avait aucune idée, du temps de Kepler, des méthodes de calculer le mouvement dans les lignes courbes. Il supposa que les planètes décrivaient des ellipses autour du soleil, parce qu’étant attirées par cet astre, elles avaient un mouvement de progression. Il l’appela mouvement animal, parce qu’il ne savait pas qu’un corps qui ne rencontre point d’obstacle continue de se mouvoir indéfiniment en ligne droite ; il croyait que, dans ce cas, il fallait de temps en temps une force nouvelle, et il supposait cette force résidente dans les planètes mêmes. Cette seconde hypothèse n’est pas ridicule comme celle des côtés amis et ennemis. (K.)