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DES MARÉES.

Les eaux en F ne peuvent presser, s’aplatir en proportion de l’élévation des eaux en C qu’elles ne forcent les eaux en D de s’allonger, de s’élever en proportion de la pression en F : donc les eaux en D doivent être aussi élevées qu’en C ; et quand cette pression se fait aux équinoxes, l’ovale de la terre en est augmenté. Ainsi, non-seulement le soleil est une des causes du flux de la mer (ce qu’on était bien loin de soupçonner), mais la lune, que l’on croyait fouler les eaux par sa pression, les élève au contraire par la force de l’attraction. Nous pensions que quand l’Océan se retire de nos côtes, c’était parce que rien n’agissait plus sur lui ; au contraire, il se retire ainsi, et ne s’amoncelle sous l’équateur que par une très-grande force qui l’y contraint ; et le temps du flux, qu’on appelle marée, est le temps auquel la mer redescend par son propre poids, lorsque cette force d’attraction diminue.

Vous voyez évidemment que quand la lune élève les eaux en L (figure 70), six heures après, la terre ayant fait le quart de son chemin autour d’elle-même, les eaux qui étaient en L se trouvent en S, et doivent par conséquent s’abaisser, puisque rien ne les élève plus. Quand est-ce que ces mêmes eaux recommenceront par l’action immédiate de la lune ? Quand elles se trouveront sous cette planète ; ce ne sera pas au bout de vingt-quatre heures, mais de vingt-quatre et trois quarts, parce que la lune avance tous les jours de trois quarts d’heure à peu près, dans son cours autour de la terre : ainsi le jour lunaire, c’est-à-dire le retour de la lune à notre méridien, est plus long de trois quarts d’heure que notre jour.

Au reste, ces marées de la mer océane semblent être, aussi bien que la précession des équinoxes et que la période de la terre en 25,900 ans, un effet nécessaire des lois de la gravitation, sans que la cause finale en puisse être assignée : car de dire, avec tant d’auteurs, que Dieu nous donne les marées pour la commodité de notre commerce, c’est oublier que les hommes ne commercent au loin par l’Océan que depuis deux cents ans. C’est hasarder beaucoup encore que de dire que le flux et le reflux rendent les ports plus avantageux ; et quand il serait vrai que les marées de l’Océan fussent utiles au commerce, doit-on dire que Dieu les envoie dans cette vue ? Combien la terre et les mers ont-elles subsisté de siècles avant que nous fissions servir la navigation à nos nouveaux besoins ? Quoi ! disait un philosophe ingénieux, parce qu’au bout d’un nombre prodigieux d’années les besicles ont été enfin inventées, doit-on dire que Dieu a fait nos nez pour porter des lunettes ?