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REMARQUES SUR LES PENSÉES

 XLVIII. (XLIX.) Ceux qui jugent d’un ouvrage par règle sont à l’égard des autres comme ceux qui ont une montre à l’égard de ceux qui n’en ont point[1]. L’un dit : Il y a deux heures que nous sommes ici ; l’autre dit : Il n’y a que trois quarts d’heure. Je regarde ma montre ; je dis à l’un : Vous vous ennuyez ; et à l’autre : Le temps ne vous dure guère.

En ouvrage de goût, en musique, en poésie, en peinture, c’est le goût qui tient lieu de montre ; et celui qui n’en juge que par règle en juge mal.

 XLIX. (L.) César était trop vieux, ce me semble, pour aller s’amuser à conquérir le monde : cet amusement était bon à Alexandre ; c’était un jeune homme[2] qu’il était difficile d’arrêter, mais César devait être plus mûr.

L’on s’imagine d’ordinaire qu’Alexandre et César sont sortis de chez eux dans le dessein de conquérir la terre : ce n’est point cela, Alexandre succéda à Philippe dans le généralat de la Grèce, et fut chargé de la juste entreprise de venger les Grecs des injures du roi de Perse. Il battit l’ennemi commun, et continua ses conquêtes jusqu’à l’Inde, parce que le royaume de Darius s’étendait jusqu’à l’Inde, de même que le duc de Marlborough serait venu jusqu’à Lyon sans le maréchal de Villars. À l’égard de César, il était un des premiers de la république ; il se brouilla avec Pompée, comme les jansénistes avec les molinistes, et alors ce fut à qui s’exterminerait. Une seule bataille, où il n’y eut pas dix mille hommes de tués, décida de tout. Au reste, la pensée de M. Pascal est peut-être fausse en un sens : il fallait la maturité de César pour se démêler de tant d’intrigues ; et il est peut-être étonnant qu’Alexandre, à son âge, ait renoncé au plaisir pour faire une guerre si pénible.

 L. (LI.) C’est une plaisante chose à considérer, de ce qu’il y a des gens dans le monde, qui, ayant renoncé à toutes les lois de Dieu et de la nature, s’en sont fait eux-mêmes auxquelles ils obéissent exactement : comme, par exemple, les voleurs[3], etc.

    d’une conformité d’idée ; mais cela n’est pas absolument convaincant, quoiqu’il y ait bien à parier pour l’affirmative. »
    Note de Voltaire. « Ce n’était pas la couleur blanche qu’il fallait apporter en preuve. Le blanc, qui est un assemblage de tous les rayons, paraît éclatant à tout le monde, éblouit un peu à la longue, fait à tous les yeux le même effet ; mais on pourrait dire que peut-être les autres couleurs ne sont pas aperçues de tous les yeux de la même manière. »
    Voltaire est revenu sur cette pensée : voyez le n° XXX des Dernières Remarques sur les Pensées de Pascal, ci-après, à l’année 1778.

  1. Il faut lire : Ceux qui jugent d’un ouvrage sans règle sont à l’égard des autres comme ceux qui n’ont pas de montre à l’égard des autres. Cela est plus clair.
  2. Texte exact : à Auguste ou à Alexandre : c’étaient des jeunes gens.
  3. Pascal ajoute : les soldats de Mahomet, les hérétiques, etc., et ainsi les logiciens.