Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome23.djvu/125

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
115
SOMMAIRES DES PIÈCES DE MOLIÈRE.

dant la nuit, de peur de perdre son souffle. — Se bouche-t-il aussi la bouche d’en bas ? »

Cependant ces comparaisons de Plaute avec Molière, toutes à l’avantage du dernier, n’empêchent pas qu’on ne doive estimer ce comique latin, qui, n’ayant pas la pureté de Térence, et fort inférieur à Molière, a été[1], pour la variété de ses caractères et de ses intrigues, ce que Rome a eu de meilleur. On trouve aussi, à la vérité, dans l’Avare de Molière quelques expressions grossières comme : « Je sais l’art de traire les hommes[2] ; » et quelques mauvaises plaisanteries comme : « Je marierais, si je l’avais entrepris, le Grand Turc et la république de Venise[3]. »

Cette comédie a été traduite en plusieurs langues, et jouée sur plus d’un théâtre d’Italie et d’Angleterre, de même que les autres pièces de Molière ; mais les pièces traduites ne peuvent réussir que par l’habileté du traducteur. Un poëte anglais nommé Shadwell, aussi vain que mauvais poëte, la donna en anglais du vivant de Molière. Cet homme dit, dans sa préface : « Je crois pouvoir dire, sans vanité, que Molière n’a rien perdu entre mes mains. Jamais pièce française n’a été maniée par un de nos poëtes, quelque méchant qu’il fût, qu’elle n’ait été rendue meilleure. Ce n’est ni faute d’invention, ni faute d’esprit, que nous empruntons des Français ; mais c’est par paresse : c’est aussi par paresse que je me suis servi de l’Avare de Molière. »

On peut juger qu’un homme qui n’a pas assez d’esprit pour mieux cacher sa vanité n’en a pas assez pour faire mieux que Molière. La pièce de Shadwell est généralement méprisée. M. Fielding, meilleur poëte et plus modeste, a traduit l’Avare, et l’a fait jouer à Londres en 1733. Il y a ajouté réellement quelques beautés de dialogue particulières à sa nation, et sa pièce a eu près de trente représentations, succès très-rare à Londres, où les pièces qui ont le plus de cours ne sont jouées tout au plus que quinze fois.

  1. Ce texte est celui de l’édition de Kehl. Dans toutes les éditions précédentes, de 1739 à 1775, on lit : « ..... De Térence, avait d’ailleurs tant d’autres talents, et qui, quoique inférieur à Molière, etc. » ( B.)
  2. Acte II, scène v.
  3. Acte II, scène vi.