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SOMMAIRES DES PIÈCES DE MOLIÈRE.

point heurter de front le sentiment des critiques, et sachant qu’il faut ménager les hommes quand ils ont tort, donna au public le temps de revenir, et ne rejoua l’Avare qu’un an après : le public, qui, à la longue, se rend toujours au bon, donna à cet ouvrage les applaudissements qu’il mérite. On comprit alors qu’il peut y avoir de fort bonnes comédies en prose, et qu’il y a peut-être plus de difficulté à réussir dans ce style ordinaire, où l’esprit seul soutient l’auteur, que dans la versification, qui, par la rime, la cadence et la mesure, prête des ornements à des idées simples que la prose n’embellirait pas.

Il y a dans l’Avare quelques idées prises de Plaute, et embellies par Molière. Plaute avait imaginé le premier de faire en même temps voler la cassette de l’Avare, et séduire sa fille ; c’est de lui qu’est toute l’invention de la scène du jeune homme qui vient avouer le rapt, et que l’Avare prend pour le voleur. Mais on ose dire que Plaute n’a point assez profité de cette situation ; il ne l’a inventée que pour la manquer ; que l’on en juge par ce trait seul : l’amant de la fille ne paraît que dans cette scène ; il vient sans être annoncé ni préparé, et la fille elle-même n’y paraît point du tout.

Tout le reste de la pièce est de Molière, caractères, intrigues, plaisanteries ; il n’a imité que quelques lignes, comme cet endroit où l’Avare, parlant (peut-être mal à propos) aux spectateurs, dit[1] : « Mon voleur n’est-il point parmi vous ? Ils me regardent tous, et se mettent à rire. » — Quid est quod ridetis ? Novi omnes, scio fures hic esse complures[2] ; et cet autre endroit encore où, ayant examiné les mains du valet qu’il soupçonne, il demande à voir la troisième : Ostende tertiam.

Mais si l’on veut connaître la différence du style de Plaute et du style de Molière, qu’on voie les portraits que chacun fait de son Avare. Plaute dit :

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Clamat
Suam rem periisse, seque eradicarier,
De suo tigillo fumus si qua exit foras.
Quin cum it dormitum, follem sibi obstringit ob gulam,
— Cur ? — Ne quid animaæ forte amittat dormiens.
— Etiamne obturat inferiorem gutturem ?

(Aulularia, act. II, sc. iv.)

« Il crie qu’il est perdu, qu’il est abîmé, si la fumée de son feu va hors de sa maison. Il se met une vessie à la bouche pen-

  1. Acte IV, scène vii.
  2. Acte Ier, scène iii.