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SUR DEUX ÉPÎTRES D’HELVÉTIUS.

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Téthys creuse le lit des ondes mugissantes,
Et Tithée au-dessus des vagues écumantes,
Lève un superbe front couronné par les airs :
Le flambeau de l’Amour anime l’univers.

Ainsi donc un esprit plein d’une vaine ivresse
Donne à l’orgueil le nom de sublime sagesse ;
Ainsi les nations, jouets des imposteurs,
Se disputent encor sur le choix des erreurs,
Applaudissent toujours aux plus folles pensées ;
Ainsi notre univers, par des mains insensées,
Tant de fois tour à tour détruit, rédifié,
Ne fut jamais qu’un temple à l’erreur dédié[1]
Heureux si quelquefois, rebelle à l’imposture,
Maître de s’égarer au champ de la nature,
L’homme au delà des cieux eût poursuivi l’erreur !
Mais d’un superbe esprit qui modéra l’ardeur ?
Qui put le retenir dans les bornes prescrites ?
L’univers est borné, l’orgueil est sans limites[2].
Aux régions de l’âme il a déjà percé ;
Sur l’aile de l’orgueil Platon s’est élancé ;
Du pouvoir de penser il prive la matière[3].
Notre âme, enseignait-il, n’est point une lumière
Qui naît, qui s’affaiblit, qui croît avec le corps ;
Mais l’âme inétendue en meut tous les ressorts :
Elle est indivisible, elle est donc immortelle.
L’âme fut tour à tour une vive étincelle,
Un atome subtil, un souffle aérien :
Chacun en discourut, mais aucun n’en sut rien[4].
Ainsi toujours le ciel, aux yeux même du sage,
Cacha ses vérités dans un sombre nuage.

Enfin l’orgueil osa s’élever jusqu’à Dieu.
Dieu remplit l’univers, et n’est dans aucun lieu ;
Rien n’est Dieu, me dit l’un ; mais il est chaque chose.
À la crédulité ce faux prophète impose
L’indispensable loi d’étouffer la raison,
Et de prendre toujours pour idée un vain nom.
Un autre peint son Dieu comme une mer immense ;
Berceau vaste où le monde a reçu la naissance.
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  1. Très-bon. (Note de Voltaire.)
  2. Vers admirable (Id.)
  3. On ne peut mieux. (Id.)
  4. Vers très-joli. (Id.)