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DISSERTATION SUR LES CHANGEMENTS

Je suppose un moment, avec ceux qui admettent la période de deux millions d’années, que nous sommes parvenus au point où l’écliptique coïncidera avec l’équateur : le climat de l’Italie, de la France et de l’Allemagne, sera changé ; mais il ne faut pas s’imaginer qu’alors, ni dans aucun temps, l’océan pût changer de place : ce mouvement de la terre ne peut s’opposer aux lois de la pesanteur ; en quelque sens que notre globe soit tourné, tout pressera également le centre. La mécanique universelle est toujours la même.

Il n’y a donc aucun système qui puisse donner la moindre vraisemblance à cette idée si généralement répandue que notre globe a changé de face[1], que l’océan a été très-longtemps sur la terre habitée, et que les hommes ont vécu autrefois où sont aujourd’hui les marsouins et les baleines. Rien de ce qui végète et de ce qui est animé n’a changé ; toutes les espèces sont demeurées invariablement les mêmes ; il serait bien étrange que la graine de millet conservât éternellement sa nature, et que le globe entier variât la sienne.

Ce qu’on dit de l’océan, il faut le dire de la Méditerranée, et du grand lac qu’on appelle mer Caspienne. Si ces lacs n’ont pas toujours été où ils sont, il faut absolument que la nature de ce globe ait été tout autre qu’elle n’est aujourd’hui.

Une foule d’auteurs a écrit qu’un tremblement de terre ayant englouti un jour les montagnes qui joignaient l’Afrique et l’Europe, l’océan se fit un passage entre Calpé et Abyla, et alla former la Méditerranée, qui finit à cinq cents lieues de là, aux Palus-Méotides : c’est-à-dire que cinq cents lieues de pays se creusèrent tout d’un coup pour recevoir l’océan. On remarque encore que la mer n’a point de fond vis-à-vis Gibraltar, et qu’ainsi l’aventure de la montagne est encore plus merveilleuse.

Si on voulait bien seulement faire attention à tous les fleuves de l’Europe et de l’Asie qui tombent dans la Méditerranée, on verrait qu’il faut nécessairement qu’ils y forment un grand lac. Le Tanaïs, le Borysthène, le Danube, le Pô, le Rhône, etc., ne pouvaient avoir d’embouchure dans l’océan, à moins qu’on ne se donnât encore le plaisir d’imaginer un temps où le Tanaïs et le Borysthène venaient par les Pyrénées se rendre en Biscaye.

Les philosophes disaient qu’il fallait bien cependant que la Mé-

  1. Il est incontestable que la terre a été modifiée à sa surface. Les soulèvements successifs qui ont donné naissance à beaucoup de chaînes de montagnes ont amené au dehors ces bancs de coquilles ou ces empreintes isolées qui excitent la verve de Voltaire. (D.)