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DISSERTATION SUR LES CHANGEMENTS, ETC.

inexécutable par les lois de la nature que nous connaissons, je ne dis rien que de très-véritable. Ceux qui ont voulu trouver des raisons physiques de ce prodige singulier n’ont pas été plus heureux que ceux qui voudraient expliquer par les lois de la mécanique comment quatre mille personnes furent nourries avec cinq pains et trois poissons. La physique n’a rien de commun avec les miracles ; la religion ordonne de les croire, et la raison défend de les expliquer.

Quelques-uns ont imaginé que les nuages seuls peuvent suffire à inonder la terre ; mais ces nuages ne sont que les eaux de la mer même, élevées continuellement de sa surface, et atténuées et purifiées. Plus l’air en est chargé, plus les eaux de notre globe en ont perdu. Ainsi la même quantité d’eau subsiste toujours. Si les nuages se fondent également sur tout le globe, il n’y a pas un pouce de terre inondé ; s’ils sont amoncelés par le vent dans un climat, et qu’ils retombent sur une lieue carrée de terrain aux dépens des autres terres qui restent sans pluie, il n’y a que cette lieue carrée de submergée.

D’autres ont fait sortir tout l’océan de son lit, et l’ont envoyé couvrir toute la terre. On compte aujourd’hui que la mer, en prenant ensemble les fonds qu’on a sondés et ceux qui sont inaccessibles à la sonde, peut avoir environ 1,000 pieds de profondeur. Elle n’a que 50 pieds en beaucoup d’endroits, et sur les côtes bien moins. En supposant partout sa profondeur de 1,000 pieds, on ne s’éloigne pas beaucoup de la vérité.

Or les montagnes vers Quito s’élèvent au-dessus du niveau de la mer de plus de 10,000 pieds. Il aurait donc fallu dix océans l’un sur l’autre, élevés sur la moitié aqueuse du globe, et dix autres océans sur l’autre moitié ; et, comme la sphère aurait alors plus de circonférence, il faudrait encore quatre océans pour en couvrir la surface agrandie : ainsi il faudrait nécessairement vingt-quatre océans au moins pour inonder le sommet des montagnes de Quito ; et quand il n’en faudrait que quatre, comme le prétend le docteur Burnet, un physicien serait encore bien embarrassé avec ces quatre océans. Qui croirait que Burnet imagine de les faire bouillir pour en augmenter le volume ? Mais l’eau en bouillant ne se gonfle jamais un quart seulement au delà de son volume ordinaire. À quoi est-on réduit quand on veut approfondir ce qu’il ne faut que respecter ?


FIN DE LA DISSERTATION SUR LES CHANGEMENTS
ARRIVÉS DANS NOTRE GLOBE.