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MORTS DANS LA GUERRE DE 1741.

« La plus fausse de toutes les philosophies est celle qui, sous prétexte d’affranchir les hommes des embarras des passions, leur conseille l’oisiveté. »

« Nous devons peut-être aux passions les plus grands avantages de l’esprit. »

« Ce qui n’offense pas la société n’est pas du ressort de la justice. »

« Quiconque est plus sévère que les lois est un tyran. »

On voit, ce me semble, par ce peu de pensées que je rapporte, qu’on ne peut pas dire de lui ce qu’un des plus aimables esprits de nos jours a dit de ces philosophes de parti, de ces nouveaux stoïciens qui en ont imposé aux faibles :

Ils ont eu l’art de bien connaître
L’homme qu’ils ont imaginé ;
Mais ils n’ont jamais deviné
Ce qu’il est ni ce qu’il doit être[1].

J’ignore si jamais aucun de ceux qui se sont mêlés d’instruire les hommes a rien écrit de plus sage que son chapitre sur le bien et sur le mal moral. Je ne dis pas que tout soit égal dans le livre ; mais si l’amitié ne me fait pas illusion, je n’en connais guère qui soit plus capable de former une âme bien née et digne d’être instruite. Ce qui me persuade encore qu’il y a des choses excellentes dans cet ouvrage que M. de Vauvenargues nous a laissé, c’est que je l’ai vu méprisé par ceux qui n’aiment que les jolies phrases et le faux bel esprit[2].

  1. Ces vers sont de Saint-Lambert, dans son Épître à ****, dont voici les premiers vers :
    À vivre loin du jansénisme,
    Cher prince, je suis condamné.
     Le quatrième des vers que cite Voltaire s’y lit ainsi :
    Ce qu’est l’homme, ou ce qu’il doit être.
  2. L’ouvrage dont M. de Voltaire parle ci-dessus (page 259) est une Épître de M. de Marmontel, production de sa jeunesse, où l’on trouve une philosophie et des vers dignes de son maître.

    Dans le temps de la mort de M. de Vauvenargues, les jésuites avaient la manie de chercher à s’emparer des derniers moments de tous les hommes qui avaient quelque célébrité ; et s’ils pouvaient ou en extorquer quelque déclaration, ou réveiller dans leur âme affaiblie les terreurs de l’enfer, ils criaient au miracle. Un de ces pères se présenta chez M. de Vauvenargues mourant. « Qui vous a en-