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PANÉGYRIQUE DE LOUIS XV.
ludivico decimo quinto, de humano genere bene-merito.

Une voix faible et inconnue s’élève, mais elle sera l’interprète de tous les cœurs : si elle ne l’est pas, elle est téméraire ; si elle flatte, elle est coupable, car c’est outrager le trône et la patrie que de louer son prince des vertus qu’il n’a pas.

On sait assez que ceux qui sont à la fête des peuples sont jugés par le public avec autant de sévérité qu’ils sont loués en face avec bassesse ; que tout prince a pour juges les cœurs de ses sujets ; qu’il ne tient qu’à lui de savoir son arrêt, et de se connaître ainsi lui-même. Il n’a qu’à consulter la voix publique, et surtout celle du petit nombre de juges, qui en tout genre entraîne à la longue l’opinion du grand nombre, et qui seule se fait entendre à la postérité,

La réputation est la récompense des rois, la fortune leur a donné tout le reste ; mais cette réputation est différente comme leurs caractères : plus éclatante chez les uns, plus solide chez les autres ; souvent accompagnée d’une admiration mêlée de crainte, quelquefois appuyée sur l’amour ; ici, plus prompte ; ailleurs, plus tardive ; rarement pure et universelle.

Louis XII, malheureux dans la guerre et dans la politique, vit les cœurs de son peuple se tourner vers lui, et fut consolé. François Ier, par sa valeur, par sa magnificence, et par la protection des arts, qui l’immortalisent, ressaisit la gloire qu’un rival trop puissant lui avait enlevée.

Henri IV, ce brave guerrier, ce bon prince, ce grand homme si au-dessus de son siècle, ne fut connu de tout le monde qu’après sa mort ; et c’est ce que lui-même avait prédit.

Louis XIV frappa tous les yeux, pendant quarante ans, de l’éclat de sa prospérité, de sa grandeur, et de sa gloire, et fit parler en sa faveur toutes les bouches de la renommée.

Nos acclamations ont donné à Louis XV un titre qui doit rassembler en lui bien d’autres titres[1], car il n’en est pas d’un sou-

  1. Dans ses Mémoires, Voltaire dit que ce fut Vadé qui imagina de donner à Louis XV le titre de Bien-Aimé. Dans son Éloge funèbre de Louis XV, en 1774, Voltaire dit que ce fut un homme de la populace. Dans son Commentaire historique, publié en 1770, il a répété ce qu’il avait dit dans ses Mémoires, en 1759. Quelques personnes disent que le surnom de Bien-Aimé fut donné à Louis XV par