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PANÉGYRIQUE DE LOUIS XV.

était perdue. On ramenait de tous côtés les canons ; tous les corps avaient été repoussés les uns après les autres, le poste important d’Anthoin[1] avait commencé d’être évacué ; la colonne anglaise s’avançait à pas lents, toujours ferme, toujours inébranlable, coupant en deux notre armée, faisant de tous côtés un feu continu, qu’on ne pouvait ni ralentir ni soutenir. Si le roi eût cédé aux prières de tant de serviteurs qui ne craignaient que pour ses jours, s’il n’eût demeuré sur le champ de bataille, s’il n’eût fait revenir ses canons dispersés, qu’on retrouva avec tant de peine, aurait-on fait les efforts réunis qui décidèrent du sort de cette journée ? Qui ne sait à quel excès la présence du souverain enflamme notre nation, et avec quelle ardeur on se dispute l’honneur de mourir ou de vaincre à ses yeux ? Ce moment en fut un grand exemple. On proposait la retraite, le roi regardait ses guerriers, et ils vainquirent.

On ne sait que trop quelles funestes horreurs suivent les batailles, combien de blessés restent confondus parmi les morts, combien de soldats, élevant une voix expirante pour demander du secours, reçoivent le dernier coup de la main de leurs propres compagnons, qui leur arrachent de misérables dépouilles couvertes de sang et de fange ; ceux mêmes qui sont secourus le sont souvent d’une manière si précipitée, si inattentive, si dure, que le secours même est funeste ; ils perdent la vie dans de nouveaux tourments, en accusant la mort de n’avoir pas été assez prompte. Mais, après la bataille de Fontenoy, on vit un père qui avait soin de la vie de ses enfants, et tous les blessés furent secourus comme s’ils l’avaient été par leurs frères. L’ordre, la prévoyance, l’attention, la propreté, l’abondance de ces maisons que la charité élève avec tant de frais, et qu’elle entretient dans le sein de nos villes tranquilles et opulentes, n’étaient pas au-dessus de ce qu’on vit dans des établissements préparés à la hâte pour ce jour de sang. Les ennemis prisonniers et blessés devenaient nos compatriotes, nos frères. Jamais tant d’humanité ne succéda si promptement à tant de valeur.

Les Anglais surtout en furent touchés, et cette nation, la rivale de notre vertu guerrière, l’est devenue de notre magnanimité. Ainsi un prince, un seul homme peut, par son exemple, rendre meilleurs ses sujets et ses ennemis même ; ainsi les barbaries de la guerre ont été adoucies dans l’Europe, autant que le peut permettre la méchanceté humaine ; et si vous en exceptez ces

  1. Voltaire a écrit Antoüin.