longue application. Il n’en est pas de nos forces maritimes comme de ces trirèmes que les Romains apprirent si rapidement à construire et à gouverner. Un seul vaisseau de guerre est un objet plus grand que les flottes qui décidèrent auprès d’Actium de l’empire du monde. Tout ce qu’on a pu faire, on l’a fait : nous avons même armé plus de vaisseaux que n’en avait la Hollande, qu’on appelle encore puissance maritime ; mais il n’était pas possible d’égaler en peu d’années l’Angleterre, qui, étant si peu de chose par elle-même sans l’empire de la mer, regarde depuis si longtemps cet empire comme le seul fondement de sa puissance, et comme l’essence de son gouvernement. Les hommes réussissent toujours dans ce qui leur est absolument nécessaire ; ce qui est nécessaire à un État est toujours ce qui en fait la force. Ainsi la Hollande a ses navires marchands ; la Grande-Bretagne, ses armées navales ; la France, ses armées de terre.
Le ministre qui prêtait la main aux rênes du gouvernement, dans le commencement de la guerre[1], était dans cette extrême vieillesse où il ne reste plus que deux objets : le moment qui fuit, et l’éternité. Il avait su longtemps retenir comme enchaînées ces flottes de nos voisins toujours prêtes à couvrir les mers, et à s’élancer contre nous. Ses négociations lui avaient acquis le droit d’espérer que ses yeux, prêts à se fermer, ne verraient plus la guerre ; mais Dieu, qui prolonge et retranche à son gré nos années, frappa Charles VI avant lui, et cette mort imprévue, comme le sont presque tous les événements, fut le signal de plus de trois cent mille morts. Enfin la sagesse de ce vieillard respectable, ses services, sa douceur, son égalité, son désintéressement personnel, méritaient nos éloges, et son âge nos excuses. S’il avait pu lire dans l’avenir, il aurait ajouté à la puissance de l’État ce rempart de vaisseaux, cette force qui peut se porter à la fois dans les deux hémisphères : et que n’aurait-on point exécuté ! Le héros aussi admirable qu’infortuné qui aborda seul dans son ancienne patrie[2], qui seul y a formé une armée, qui a gagné tant de combats, qui ne s’est affaibli qu’à force de vaincre, aurait recueilli le fruit de son audace plus qu’humaine ; et ce prince, supérieur à Gustave Vasa, ayant commencé comme lui, aurait fini de même.
Mais enfin, quoique ces grandes ressources nous manquassent, notre gloire s’est conservée sur les mers. Tous nos officiers de