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DE SAINT LOUIS.

qui peut en résulter. Les plus grands capitaines n’ont pas toujours profité de leurs victoires : l’histoire ne nous laisse pas douter que saint Louis n’ait profité des siennes, et par la rapidité de ses marches, et par des succès qui valent des batailles, sans en avoir la célébrité, et surtout par la paix, cette paix tant désirée, tant troublée par le genre humain, et qu’il faut acheter par l’effusion de son sang, Louis l’accorda, cette paix, aux ennemis qu’il pouvait accabler, et aux rebelles qu’il pouvait punir ; il savait de quel prix est la clémence ; il savait combien il y a peu de grandeur à se venger ; que tout homme heureux peut faire périr des infortunés, et que d’accorder la vie n’appartient qu’à Dieu, et aux rois, qui sont son image.

Tel on le vit en Europe, tel il fut en Asie ; non pas aussi heureux, mais aussi grand. Il ne m’appartient pas de traiter de téméraires ceux qui, dans ce siècle éclairé, condamnent les entreprises des croisades, autrefois consacrées. Je sais qu’un célèbre et savant auteur paraît souhaiter que les croisades n’eussent jamais été entreprises. Sa religion ne lui laisse pas penser que les chrétiens d’Occident dussent regarder Jérusalem comme leur héritage. Jérusalem est la ville sainte, consacrée par les mystères de notre rédemption, par la mort d’un Dieu, digne et saint objet des vœux de tous les chrétiens ; mais c’est le ciel où Dieu réside, qui est le patrimoine des enfants du ciel. La raison semble désapprouver encore que l’Europe se dépeuplât pour ravager inutilement l’Asie ; que des millions d’hommes sans dessein arrêté, sans connaissances des routes, sans guides, sans provisions assurées, se soient précipités et se soient écoulés comme des torrents dans des contrées que la nature n’avait point faites pour eux. Voilà ce qu’on allègue pour condamner l’entreprise de saint Louis, et on ajoute la raison la plus ordinaire et la plus forte sur l’esprit des hommes : c’est que l’entreprise fut malheureuse.

Mais, messieurs, il n’y a ici aucun de vous qui ne me prévienne, et qui ne se dise à lui-même : Il n’y a jamais eu d’action infortunée qui n’ait été condamnée ; et, plus le siècle est éclairé, plus vous sentez que le succès ne doit pas être la règle du jugement des sages, comme il n’est pas toujours, dans les voies de Dieu, la récompense de la vertu.

Tout homme est conduit par les idées de son siècle ; une croisade était devenue un des devoirs d’un héros. Saint Louis voulait aller réparer les disgrâces des empereurs et des rois chrétiens. Les croisés qui l’avaient précédé avaient fait beaucoup de fautes, et c’est par cette raison-là même qu’il les fallait secourir. Les cris