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ASSAUT.

forme un mélange délicieux de tendresse et d’horreur. Le poëte met ici son art à rendre la guerre odieuse, dans le temps même qu’il sonne la charge, et qu’il inspire l’ardeur du combat dans l’âme du lecteur. La comparaison des deux mers qui se choquent étonne l’imagination. La peinture de la baïonnette au bout du fusil est d’un goût nouveau, vrai et noble ; c’est un des plus grands mérites de la poésie de peindre les détails.


                      Verbis ea vincere magnum
Quam sit, et angustis hunc addere rebus honorem.

(Virg. Georg., III, 280.)

ASSAUT.

Cet art de peindre les détails, et de décrire des choses que la poésie française évite communément, se trouve d’une manière bien sensible dans le récit d’un assaut donné aux faubourgs de Paris[1] :


Du côté du levant bientôt Bourbon s’avance.
Le voilà qui s’approche, et la mort le devance,
Le fer avec le feu vole de toutes parts
Des mains des assiégeants et du haut des remparts.
Ces remparts menaçants, leurs tours, et leurs ouvrages,
S’écroulent sous les traits de ces brûlants orages :
On voit les bataillons rompus et renversés,
Et loin d’eux dans les champs leurs membres dispersés.
Ce que le fer atteint tombe réduit en poudre ;
Et chacun des partis combat avec la foudre.
    Jadis avec moins d’art, au milieu des combats,
Les malheureux mortels avançaient leur trépas.
Avec moins d’appareil ils volaient au carnage,
Et le fer dans leurs mains suffisait à leur rage.
De leurs cruels enfants l’effort industrieux
À dérobé le feu qui brûle dans les cieux.
On entendait gronder ces bombes effroyables,
Des troupes de la Flandre enfants abominables.
Dans ces globes d’airain le salpêtre enflammé
Vole avec la prison qui le tient renfermé :
Il la brise, et la mort en sort avec furie.
    Avec plus d’art encore et plus de barbarie,
Dans des antres profonds on a su renfermer
Des foudres souterrains tout prêts à s’allumer.

  1. Henriade, chant VI, 183-260.