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TRADUCTIONS.

Cela veut dire : Il reçoit le feu, il lui donne des aliments arides qu’il enflamme.

Voilà des images nobles d’une chose ordinaire. Desfontaines dit : « Par le moyen de quelques feuilles sèches et d’autres matières combustibles, il alluma promptement du feu. » Est-ce là traduire ? n’est-ce pas avilir et défigurer son original ?

Le moment d’après, il fait dire à Énée : « Vous avez échappé à mille dangers… c’est en triomphant de mille obstacles qu’il faut que nous abordions en Italie. »

Ces lâches et fastidieuses expressions, surtout de près, après mille dangers, mille obstacles, ne se rencontrent pas certainement dans le texte d’un auteur tel que Virgile.

Illi se prædæ accingunt. Desfonfaines dit : « Ils apprêtent le gibier. » Virgile s’est-il servi d’un mot aussi peu poétique dans sa langue que le terme gibier l’est dans la nôtre ?

Et jam finis erat, quum Jupiter, etc. « Jupiter, dit-il, pendant ce temps-là, etc. » Virgile a-t-il rien mis qui réponde à cette plate façon de parler, pendant ce temps-là ?

Cette belle expression de populum late regem, que Virgile donne aux Romains, peuple-roi, est-ce la rendre que de traduire Peuple triomphant ? Que de fautes, que de faiblesse dans les deux premières pages ! Qui voudrait examiner ainsi la traduction entière trouverait que nous n’avons pas même une froide copie de Virgile.

On en peut dire presque autant de la traduction que Dacier a faite des Odes d’Horace ; elle est plus fidèle, à la vérité, dans le texte ; plus savante et plus instructive dans les notes ; mais elle manque de grâce. Elle n’a nulle imagination dans l’expression ; et on y cherche en vain ce nombre et cette harmonie que la prose comporte, et qui est au moins une faible image de celle qui a tant de charmes dans la poésie.

Je lisais un jour avec un homme de lettres, d’un goût très-fin et d’un esprit supérieur, cette ode d’Horace, où sont ces beaux vers que tout homme de lettres sait par cœur : Auream quisquis mediocritatem[1]. Il fut indigné, comme moi, de la manière dont Dacier traduit cet endroit charmant.

« Ceux qui aiment la liberté plus précieuse que l’or, ils n’ont garde de se loger dans une méchante petite maison, ni aussi dans un palais qui excite l’envie. » Voici à peu près, me dit l’homme que je cite, comme j’aurais voulu traduire ces vers :

  1. Livre II, ode x, vers 5.