Rome, cette capitale du monde, est donc bien déchue et bien malheureuse ?
Déchue, si vous voulez ; mais malheureuse, non. Au contraire, la paix y règne, les beaux-arts y fleurissent. Les anciens maîtres du monde ne sont plus que des maîtres de musique. Au lieu d’envoyer des colonies en Angleterre, nous y envoyons des châtrés et des violons. Nous n’avons plus de Scipions qui détruisent des Carthages, mais aussi nous n’avons plus de proscriptions : nous avons changé la gloire contre le repos.
J’ai tâché dans ma vie d’être philosophe ; je le suis devenu véritablement depuis. Je trouve que le repos vaut bien la gloire ; mais par tout ce que vous me dites, je pourrais soupçonner que frère Fulgence n’est pas philosophe.
Comment ! je ne suis pas philosophe ! je le suis à la fureur[1] ; j’ai enseigné la philosophie, et, qui plus est, la théologie.
Qu’est-ce que cette théologie, s’il vous plaît ?
C’est... c’est ce qui fait que je suis ici, et que les empereurs n’y sont plus : vous paraissez fâché de ma gloire et de la petite révolution qui est arrivée à votre empire.
J’adore les décrets éternels : je sais qu’il ne faut pas murmurer contre la destinée ; j’admire la vicissitude des choses humaines ; mais, puisqu’il faut que tout change, puisque l’empire romain est tombé, les récollets pourront avoir leur tour.
Je vous excommunie, et je vais à matines.
Et moi, je vais me rejoindre à l’Être des êtres.
- ↑ Ce qui n’est qu’une plaisanterie dans la bouche du récollet change de nom dans celle d’un jésuite. « On nous accuse d’intolérance, disait le P. Beauregard : eh ! ne sait-on pas que la charité a ses fureurs, et que le zèle a ses vengeances ? » (B.)