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LETTRE
À MM. LES AUTEURS DES ÉTRENNES DE LA SAINT-JEAN
ET AUTRES BEAUX OUVRAGES[1].


J’aime votre style, messieurs : il est bien bas, je l’avoue ; mais, au moins, il est naturel. Vous ne vous piquez jamais d’apprétier des sentiments, et d’assortir les vertus d’un monarque avec ses intérêts ; de mesurer une douleur au poids d’une infortune ; de prendre la nature sur le fait[2] ; de comparer Phryné, jolie conquérante, à Alexandre, grand conquérant[3]. On ne voit point vos héros impudents vis-à-vis le sénat, et imbéciles vis-à-vis le public[4]. Chez vous une femme n’apporte point de la coquetterie dans son équipage en venant au monde ; chez vous une femme ne ressemble pas à son visage[5]. En un mot, j’aime encore mieux, si j’ose le dire, votre popularité, messieurs, que l’impertinent jargon d’aujourd’hui. Moi qui suis fort neuf, comme vous, je vais vous faire part d’une conversation, ou plutôt d’une querelle intéressante entre Mlle de La Motte, de la Comédie[6], Mlle Formé, sa rôtisseuse, qui ne

  1. Les Étrennes de la Saint-Jean, 1742, 1750, 1751, 1757, un volume in-12, sont un recueil de pièces de divers auteurs, le comte de Maurepas, Montesquieu, le comte de Caylus, La Chaussée, etc. C’est contre ce dernier qu’est la Lettre à messieurs les auteurs, qui doit être postérieure au 21 décembre 1748, date de la représentation de Catilina, mais antérieure au 14 mars 1754, date de la mort de La Chaussée. M. Clogenson est le premier qui ait admis, en 1825, dans les Œuvres de Voltaire, ce morceau, qui avait paru en 1769, dans le tome second des Choses utiles et agréables. Je le classe en 1751, date de la troisième édition des Étrennes de la Saint-Jean. (B.)
  2. Mot de Fontenelle ; voyez tome XXI, page 115.
  3. Fontenelle. (Dialogues des morts. Alexandre et Phryné.)
  4. Fréron a employé ainsi le mot vis-à-vis ; voyez, tome IV du Théâtre, page 4, note 3, sur la Requête à messieurs les Parisiens (en tête de l’Écossaise).
  5. Phrases de Marivaux. (Note de Voltaire.)
  6. La Motte (Marie-Hélène Desmottes, connue au théâtre sous le nom de mademoiselle), née à Colmar, en 1704, débuta, en 1722, dans les rôles tragiques au Théâtre-Français, prit ensuite les rôles comiques, se retira en 1759, et mourut dix ans après.