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DIALOGUE ENTRE UN PLAIDEUR

le plaideur.

Ce Charondas[1] est apparemment quelque chancelier de nos premiers rois, qui fit une loi en faveur des orphelins ?

l’avocat.

Point du tout : c’est un particulier qui a dit son avis dans un gros livre qu’on ne lit point : mais un avocat le cite, les juges le croient, et on gagne sa cause.

le plaideur.

Quoi ! l’opinion de Charondas tient lieu de loi ?

l’avocat.

Ce qu’il y a de triste, c’est que vous avez contre vous Turnet et Brodeau.

le plaideur.

Autres législateurs de la même force, sans doute ?

l’avocat.

Oui. Le droit romain n’ayant pu être suffisamment expliqué dans le cas dont il s’agit, on se partage en plusieurs opinions différentes.

le plaideur.

Que parlez-vous ici du droit romain ? est-ce que nous vivons sous Justinien ou sous Théodose ?

l’avocat.

Non pas ; mais nos ancêtres aimaient beaucoup la chasse et les tournois, ils couraient dans la Terre Sainte avec leurs maîtresses : vous voyez bien que de si importantes occupations ne leur laissaient pas le temps d’établir une jurisprudence universelle.

le plaideur.

Ah ! j’entends ; vous n’avez point de lois, et vous allez demander à Justinien et à Charondas ce qu’il faut faire quand il y a un héritage à partager.

l’avocat.

Vous vous trompez ; nous avons plus de lois que toute l’Europe ensemble ; presque chaque ville a la sienne.

le plaideur.

Oh ! oh ! voici bien une autre merveille !

l’avocat.

Ah ! si vos pupilles étaient nés à Guignes-la-Putain, au lieu d’être natifs de Melun près Corbeil !

  1. Loys Le Caron, dit Charondas, avocat et lieutenant général au bailliage de Clermont en Beauvaisis, né en 1536, mort, en 1617, annota le Grand Coutumier de France, et publia les Pandectes du droit français. (G. A.)