Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome23.djvu/511

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DIALOGUE
ENTRE
UN PHILOSOPHE ET UN CONTRÔLEUR GÉNÉRAL
DES FINANCES[1].

le philosophe.

Savez-tous qu’un ministre des finances peut faire beaucoup de bien, et par conséquent être un plus grand homme que vingt maréchaux de France ?

le ministre.

Je savais bien qu’un philosophe voudrait adoucir en moi la dureté qu’on reproche à ma place ; mais je ne m’attendais pas qu’il voulût me donner de la vanité.

le philosophe.

La vanité n’est pas tant un vice que vous le pensez. Si Louis XIV n’en avait pas eu un peu, son règne n’eût pas été si illustre. Le grand Colbert en avait ; ayez celle de le surpasser. Vous êtes né dans un temps plus favorable que le sien. Il faut s’élever avec son siècle.

le ministre.

Je conviens que ceux qui cultivent une terre fertile ont un grand avantage sur ceux qui l’ont défrichée.

le philosophe.

Croyez qu’il n’y a rien d’utile que vous ne puissiez faire aisément. Colbert trouva d’un côté l’administration des finances dans tout le désordre où les guerres civiles et trente ans de rapines l’avaient plongée. Il trouva de l’autre une nation légère, ignorante, asservie à des préjugés dont la rouille avait treize cents ans d’ancienneté. Il n’y avait pas un homme au conseil qui sût ce que

  1. Ce dialogue est aussi dans une édition de 1751 des Œuvres de Voltaire. Les interlocuteurs sont Voltaire et Machault.