Non, je suis toujours sensible. Vous m’attendrissez ; et pour vous prouver que j’ai toujours le même goût pour vous, je vous offre tout ce que je puis : quittez Versailles, venez vivre avec moi dans la rue des Tournelles.
Vous me percez le cœur. Je ne puis être heureuse auprès du trône, et je ne pourrais l’être au Marais. Voilà le funeste effet de la cour.
Je n’ai point de remède pour une maladie incurable. Je consulterai sur votre mal avec les philosophes qui viennent chez moi ; mais je ne vous promets pas qu’ils fassent l’impossible.
Quoi ! se voir au faîte de la grandeur, être adorée, et ne pouvoir être heureuse !
Écoutez, il y a peut-être ici du malentendu. Vous vous croyez malheureuse uniquement par votre grandeur.
Le mal ne viendrait-il pas aussi de ce que vous n’avez plus ni les yeux si beaux, ni l’estomac si bon, ni les désirs si vifs qu’autrefois ? Perdre sa jeunesse, sa beauté, ses passions, c’est là le vrai malheur. Voilà pourquoi tant de femmes se font dévotes à cinquante ans, et se sauvent d’un ennui par un autre.
Mais vous êtes plus âgée que moi, et vous n’êtes ni malheureuse ni dévote.
Expliquons-nous. Il ne faut pas à notre âge s’imaginer qu’on puisse jouir d’une félicité complète. Il faut une âme bien vive, et cinq sens bien parfaits pour goûter cette espèce de bonheur-là. Mais avec des amis, de la liberté, et de la philosophie, on est aussi bien que notre âge le comporte. L’âme n’est mal que quand elle est hors de sa sphère. Croyez-moi, venez vivre avec mes philosophes.
Voici deux ministres qui viennent. Cela est bien loin des philosophes. Adieu donc, ma chère Ninon.
Adieu, auguste infortunée.