ne rien faire qui soit indigne des honneurs. On ne dira point qu’un solitaire a de l’honneur. Cela est réservé pour ce degré d’estime que dans la société chacun veut attacher à sa personne, Il est bon de convenir des termes, sans quoi bientôt on ne s’entendra plus.
Or, du temps de la république romaine, ce désir d’être honoré par des statues, des couronnes de laurier et des triomphes, rendit les Romains vainqueurs d’une grande partie du monde. L’honneur subsistait d’une cérémonie ou d’une feuille de laurier ou de persil.
Dès qu’il n’y eut plus de république, il n’y eut plus de cette espèce d’honneur.
Une république n’est point fondée sur la vertu : elle l’est sur l’ambition de chaque citoyen, qui contient l’ambition des autres ; sur l’orgueil qui réprime l’orgueil, sur le désir de dominer qui ne souffre pas qu’un autre domine. De là se forment des lois qui conservent l’égalité autant qu’il est possible : c’est une société où des convives, d’un appétit égal, mangent à la même table, jusqu’à ce qu’il vienne un homme vorace et vigoureux qui prenne tout pour lui et leur laisse les miettes[1].
- ↑ L’intérêt est le mobile général des actions des hommes, non-seulement dans ce sens que celui même qui agit d’après les motifs les plus purs est déterminé par le plaisir qu’il trouve à remplir ses devoirs, mais dans ce sens moins métaphysique que, si on en excepte certains moments d’enthousiasme, l’intérêt de notre conservation, de notre fortune, de nos plaisirs, de nos affections, de notre repos, de notre réputation, de la paix de notre conscience, de notre salut, nous détermine toujours. Il peut arriver que, dans une nation, la plus grande partie des hommes soit conduite principalement par l’un de ces intérêts dans leurs actions relatives à l’ordre de la société. Ainsi, dans un pays comme l’Angleterre par exemple, la jouissance des droits des hommes, que les Anglais font consister dans la sûreté personnelle de n’être jugés que par des jurés, et de ne pouvoir être gardés en prison en vertu d’ordres arbitraires ; dans la sûreté des propriétés, le droit de s’assembler paisiblement et de prendre des résolutions en commun ; dans la liberté de la presse, la tolérance, le droit de n’être imposés que par l’aveu d’un corps dont la nation choisit les membres ; cette jouissance, dis-je, est l’intérêt dominant de tout Anglais. À Genève, où tous les citoyens sont rassemblés dans une seule ville, l’égalité est le grand intérêt qui les anime. Sous un sénat aristocratique, si l’égalité entre les membres et le maintien de l’autorité du corps est l’intérêt général qui meut les sénateurs, la conservation de leurs biens et la sûreté de leurs personnes est celui qui anime les citoyens.
Dans un pays soumis au gouvernement d’un seul, si la nation est éclairée, et s’il n’y a point trop de distinctions héréditaires, d’autorités intermédiaires opposées au monarque et pesant sur le peuple, l’intérêt général est encore la conservation de la sûreté de la propriété, de la liberté de disposer de la personne et des biens. Mais s’il y existe de ces distinctions, de ces pouvoirs, alors l’intérêt de chacun est de chercher à sortir de la classe du peuple que toutes les autres oppriment ; l’ambition, la vanité devient donc alors le principe dominant.