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SUR LE GOUVERNEMENT.

XXVIII. (XXVI.)

Si la religion romaine reprend le dessus, ce sera par l’appât des gros bénéfices, et par le moyen des moines. Les moines sont des troupes qui combattent sans cesse ; les protestants n’ont point de troupes.

XXIX. (XXVII.)

On a prétendu[1] que les religions sont faites pour les climats ; mais le christianisme a régné longtemps dans l’Asie. Il commença dans la Palestine, et il est venu en Norvége. L’Anglais qui a dit que les religions étaient nées en Asie, et trouvaient leur tombeau en Angleterre, a mieux rencontré.

XXX. (XXVIII.)

Il faut avouer qu’il y a des cérémonies, des mystères, qui ne peuvent avoir lieu que dans certains climats. On se baigne dans le Gange aux nouvelles lunes : s’il fallait se baigner en janvier dans la Vistule, cet acte de religion ne serait pas longtemps en vigueur, etc.

XXXI. (XXIX.)

On a prétendu[2] que la loi de Mahomet qui défend de boire du vin est la loi du climat d’Arabie, parce que le vin y coagulerait le sang, et que l’eau est rafraîchissante. J’aimerais autant qu’on eût fait un onzième commandement en Espagne et en Italie de boire à la glace. Mahomet ne défendit pas le vin parce que les Arabes aiment l’eau : il est dit dans la Sonna qu’il le défendit parce qu’il fut témoin des excès que l’ivrognerie fait commettre.

XXXII. (XXX.)

Toutes les lois religieuses ne sont pas une suite de la nature du climat.

Manger debout un agneau cuit avec des laitues, jeter ce qui en reste dans le feu ; ne point manger de lièvre, parce qu’il est dit qu’il n’a pas le pied fendu[3] et qu’il rumine ; se mettre du sang d’un animal à l’oreille gauche[4] : toutes ces cérémonies n’ont guère de rapport avec la température d’un pays.

  1. Voltaire avait d’abord mis (en 1752 et 1754) : « Dans un livre si bien intitulé : De l’Esprit sur les lois, on prétend que les religions, etc. » Il changea (en 1756, après la mort de Montesquieu) cette phrase inconvenante et injuste ; car Montesquieu (livre XXIV, chapitre xxv) dit seulement « qu’il y a très-souvent beaucoup d’inconvénients à transporter une religion d’un pays dans un autre ». (B.)
  2. Esprit, des lois, livre XIV, chapitre x.
  3. Lévit., XI, 6 ; Deut., xiv, 7.
  4. Lévit., VIII, 23. Mais c’est l’oreille droite.