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DU DOCTEUR AKAKIA.

nous l’exhortons, s’il commet le péché de la chair, à ne pas envier le sort des colimaçons en amour, ni celui des crapauds, et à imiter moins le style de Fontenelle, quand la maturité de l’âge aura formé le sien.

Nous venons à l’examen des Lettres, que nous avons jugées contenir, par un double emploi vicieux, presque tout ce qui est dans les Œuvres ; et nous l’exhortons à ne plus débiter deux fois la même marchandise sous des noms différents, parce que cela n’est pas d’un honnête négociant comme il devrait l’être.

Examen des Lettres d’un jeune auteur déguisé sous le nom d’un président.

1° Il faut d’abord que le jeune auteur apprenne que la prévoyance[1] n’est point appelée dans l’homme prévision ; que ce mot prévision est uniquement consacré à la connaissance par laquelle Dieu voit l’avenir. Il est bon qu’il sache la force des termes avant de se mettre à écrire. Il faut qu’il sache que l’âme ne s’aperçoit point elle-même : elle voit des objets, et ne se voit pas ; c’est là sa condition. Le jeune écrivain peut aisément réformer ces petites erreurs.

2° Il est faux que « la mémoire nous fasse plus perdre que gagner[2] ». Le candidat doit apprendre que la mémoire est la faculté de retenir des idées, et que sans cette faculté on ne pourrait pas seulement faire un mauvais livre, ni même presque rien connaître, ni se conduire sur rien ; qu’on serait absolument imbécile : il faut que ce jeune homme cultive sa mémoire.

3° Nous sommes obligés de déclarer ridicule cette idée[3] que « l’âme est comme un corps qui se remet dans son état après avoir été agité, et qu’ainsi l’âme revient à son état de contentement ou de détresse, qui est son état naturel ». Le candidat s’est mal exprimé. Il voulait dire apparemment que chacun revient à son caractère ; qu’un homme, par exemple, après s’être efforcé de faire le philosophe, revient aux petitesses ordinaires, etc. Mais des vérités si triviales ne doivent pas être redites : c’est le défaut de la jeunesse de croire que des choses communes peuvent recevoir un caractère de nouveauté par des expressions obscures.

  1. Page 3, Lettres du natif de Saint-Malo. (Note de Voltaire.)
  2. Page 5. (id.)
  3. Page 8. (id.)