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MÉMOIRE SUR LA SATIRE.

Voilà donc l’origine de la querelle : un peu d’envie et de penchant à médire. Ce goût pour la médisance était dans lui, du moins en ce temps-là, si dominant et si injuste que dans la même satire il traite de parasite[1] un honnête homme qui souffrait la pauvreté avec courage, et qui la rendait respectable en n’allant jamais manger chez personne : il s’appelait Pelletier.


Tandis que Pelletier, crotté jusqu’à l’échine,
S’en va chercher son pain de cuisine en cuisine[2].


Je demande à tout esprit raisonnable en quoi ces traits, assez bas et assez indignes d’un homme de mérite, pouvaient contribuer à établir en France le bon goût. Quel service Boileau rendait-il aux lettres en disant dans sa seconde satire[3] :


Si je veux d’un galant dépeindre la figure,
Ma plume, pour rimer, trouve l’abbé de Pure ;
Si je pense exprimer un auteur sans défaut,
La raison dit Virgile, et la rime Quinault.


J’ai déjà montré quelque part[4] combien ce trait est injuste de toutes façons. Quinault ne rime point assez bien avec défaut pour que ce nom soit amené par la rime ; et la raison n’a jamais dit que Virgile soit sans défaut : la raison dit seulement que Virgile, malgré tout ce qui lui manque, est le plus grand poëte de Rome.

Il est bien indubitable que ce n’est point un zèle trop vif pour le bon goût, mais un esprit de satire et de cabale qui acharnait ainsi Boileau contre Quinault, car dans une satire qui parut bientôt après, il dit[5] :


Je ne sais pas pourquoi l’on vante l’Alexandre ;
Ce n’est qu’un glorieux qui ne dit rien de tendre :
Les héros chez Quinault parlent bien autrement.


L’Alexandre du célèbre Racine ne valait peut-être guère mieux que l’Astrate ; il était infiniment moins intéressant. J’ai ouï

  1. Voyez les Commentaires même de Boileau. (Note de Voltaire.)
  2. Boileau, satire 1er, vers 77-78 ; à Pelletier il substitua Colletet.
  3. Vers 17-20.
  4. Lettre à Cideville, en tête du Temple du Goût, tome VIII, page 554 ; et dans l’Épître sur la calomnie, à Mme du Châtelet, tome X, page 287.
  5. Satire III, vers 185-87.