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MÉMOIRE

terre ; jamais la terre ne devient eau. Il faut avouer que le grand Newton fut trompé par une fausse expérience quand il crut que l’eau pouvait se changer en terre. Les expériences de Boerhaave ont prouvé le contraire. Le feu est comme les autres éléments des corps : il n’est jamais produit d’un autre, et n’en produit aucun. Cette idée si philosophique, si vraie, s’accorde encore mieux que toute autre avec la puissante sagesse de celui qui a tout créé, et qui a répandu dans l’univers une foule incroyable d’êtres, lesquels peuvent bien se confondre, aider au développement les uns des autres, mais ne peuvent jamais se convertir en d’autres substances.

Je prie chaque lecteur d’approfondir cette opinion, et de voir si elle tire sa sublimité d’une autre source que de la vérité.

À cette vérité l’illustre auteur ajoute l’opinion que le feu n’est point pesant ; et j’avoue que, quoique j’aie embrassé l’opinion contraire après les Boerhaave et les Musschenbroeck, je suis fort ébranlé par les raisons qu’on voit dans la dissertation.

Je ne sais si, toutes les autres matières ayant reçu de Dieu la propriété de la gravitation, il n’était pas nécessaire qu’il y en eût une qui servît à désunir continuellement des corps que la gravitation tend à réunir sans cesse. Le feu pourrait bien être l’unique agent qui divise tout ce que le reste assemble. Au moins, si le feu est pesant, on doit être fort incertain sur les expériences qui paraissent déposer en faveur de son poids, et qui toutes, en prouvant trop, ne prouvent rien. Il est beau de se défier de l’expérience même.

L’illustre auteur semble prouver par l’expérience et par le raisonnement que le feu tend toujours à l’équilibre, et qu’il est également répandu dans tout l’espace. Elle examine ensuite comment il s’éteint, comment la glace se forme ; et il est à croire que ces recherches, si bien faites et si bien exposées, auraient eu le prix si on n’y avait pas ajouté une opinion trop hardie.

Cette opinion est que le feu n’est ni esprit ni matière. C’est sans doute élargir la sphère de l’esprit humain et de la nature que de reconnaître dans le Créateur la puissance de former une infinité de substances qui ne tiennent ni à cet être purement pensant dont nous ne connaissons rien, sinon la pensée, ni à cet être étendu dont nous ne connaissons guère que l’étendue divisible, figurable, et mobile. Mais il est bien hardi peut-être de refuser le nom de matière au feu, qui divise la matière, et qui agit, comme toute matière, par son mouvement.

Quoi qu’il en soit de cette idée, le reste n’en est ni moins