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LETTRE AUX AUTEURS

trois jours, et n’ont jamais voulu que leurs sujets apprissent la langue castillane. Ce sont eux seuls qui font faire l’exercice des armes aux Paraguains ; ce sont eux seuls qui les conduisent à la guerre. Le jésuite Thomas Vesle, natif de Bavière, fut tué à l’attaque de la ville du Saint-Sacrement, en montant à l’assaut, à la tête des Paraguains, en 1737, et non pas en 1735, comme le dit le jésuite Charlevoix, auteur aussi insipide que mal instruit. On sait comme ils soutinrent la guerre contre don Antiquera ; on sait ce qu’ils ont tramé en dernier lieu contre la couronne de Portugal[1], et comme ils ont bravé les ordres du conseil de Madrid.

Ils sont si puissants qu’ils obtinrent de Philippe V, en 1743, une confirmation de leur puissance, qu’on ne pouvait leur ôter. Je sais bien, messieurs, qu’ils n’ont pas le titre de roi ; et par là on peut excuser ce que vous dites de la misérable fable[2] de la royauté du Paraguai ; mais le dey d’Alger n’est pas roi, et n’en est pas moins maître absolu. Je ne conseillerais pas à mon frère le capitaine de faire le voyage du Paraguai sans être le plus fort.

Au reste, messieurs, j’ai l’honneur de vous informer que mon frère le capitaine, qui est le loustig[3] du régiment, est un très-bon chrétien qui, en s’amusant à composer le roman de Candide, dans son quartier d’hiver, a eu principalement en vue de convertir les sociniens. Ces hérétiques ne se contentent pas de nier hautement la Trinité et les peines éternelles, ils disent que Dieu a nécessairement fait de notre monde le meilleur des mondes possibles, et que tout est bien. Cette idée est manifestement contraire à la doctrine du péché originel. Ces novateurs oublient que le serpent, qui était le plus subtil des animaux, séduisit la femme tirée de la côte d’Adam ; qu’Adam fut séduit à son tour, et que, pour les punir, Dieu maudit la terre qu’il avait bénie : Maledicta terra in opere tuo ; in laboribus comedes exea cunctis diebus vitæ tuæ[4]. Ignorent-ils que tous les pères de l’Église, sans en excepter un seul, ont fondé la religion chrétienne sur cette malédiction prononcée par Dieu même, et dont nous ressentons continuellement les effets ? Les sociniens affectent d’exalter la Providence, et ils ne voient pas que nous sommes des coupables tourmentés qui devons

  1. Voyez, tome XV, le chapitre xxxviii du Précis du Siècle de Louis XV.
  2. Dans le Journal encyclopédique, du 15 mars 1759, le rédacteur, page 114, ne dit pas précisément misérable fable ; mais il parle des « folies qu’on a débitées au sujet de la royauté qu’on prétend que les jésuites possèdent au Paraguai ». C’est au chapitre xiv de Candide (voyez tome XXI, page 165) que Voltaire parle du royaume des jésuites ; voyez aussi la note, tome XII, page 429.
  3. Mot allemand qui signifie joyeux (note extraite du Journal encyclopédique).
  4. Genèse, chapitre iii, v. 17.