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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome24.djvu/110

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RELATION DE LA MALADIE, ETC.

quand il faut renoncer pour jamais à les satisfaire ? Vous demandera-t-on au jour du jugement si vous avez réussi ou non à faire le Journal de Trévoux ? Est-ce pour cela que vous êtes né ? est-ce pour nous ennuyer que vous avez fait vœu de chasteté, d’humilité et d’obéissance ? Arbre séché, arbre rabougri, qui allez être réduit en cendres, profitez du moment qui vous reste ; portez encore des fruits de pénitence ; détestez surtout l’esprit de calomnie qui vous a possédé jusqu’à présent ; tâchez d’avoir autant de religion que ceux que vous accusez d’être sans religion. Sachez, frère Berthier, que la piété et la vertu ne consistent pas à croire que votre François Xavier[1] ayant laissé tomber son crucifix dans la mer, un cancre vint humblement le lui rapporter[2]. On peut être honnête homme, et douter que le même Xavier ait été en deux endroits à la fois ; vos livres peuvent le dire ; mais, mon frère, il est permis de ne rien croire de ce qui est dans vos livres.

« À propos, frère, n’auriez-vous point écrit à frère Malagrida et complices ? Vraiment j’oubliais cette peccadille : vous croyez donc que parce qu’il n’en coûta autrefois qu’une dent à Henri IV, et qu’il n’en coûte aujourd’hui qu’un bras au roi de Portugal, vous pourrez vous sauver avec la direction d’intention ? Vous pensez que ce sont là des péchés véniels, et pourvu que le Journal de Trévoux se débite, vous vous souciez peu du reste.

— Je distingue, monsieur, dit Berthier. — Encore des distinctions ! dit le confessant ; eh bien ! moi, je ne distingue point, et je vous refuse net l’absolution. »

Comme il disait ces mots arrive frère Goutu en hâte, tout courant, tout essoufflé, tout suant, tout haletant, tout puant ; il s’était informé de celui qui avait l’honneur de confesser son révérend père. « Arrêtez, arrêtez, cria-t-il, point de sacrements, mon cher révérend père, point de sacrements, je vous en conjure, mon cher révérend Père Berthier, mourez sans sacrements ; c’est l’auteur des Nouvelles ecclésiastiques avec qui vous êtes, c’est le renard qui se confesse au loup : vous êtes perdu si vous avez dit la vérité. »

L’étonnement, la honte, la douleur, la colère, la rage, ranimèrent alors un moment les esprits du patient. « Vous l’auteur des Nouvelles ecclésiastiques ! s’écria-t-il ; et vous avez attrapé un jésuite ! — Oui, mon ami, répondit le confessant avec un sourire amer.

  1. Miracles rapportés dans la Vie de saint François Xavier. (Note de Voltaire.)
  2. Voyez tome XIX, page 204.