Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome24.djvu/132

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Le fils du grand Racine, dans un poëme intitulé la Grâce [1], s’exprime ainsi sur l’Angleterre :

L’Angleterre, où jadis brilla tant de lumière,
Recevant aujourd’hui toutes religions,
N’est plus qu’un triste amas de folles visions.


M. Racine se trompe : l’Angleterre fut plongée dans l’ignorance et le mauvais goût jusqu’au temps du chancelier Bacon. C’est la liberté de penser qui a fait éclore, chez les Anglais, tant d’excellents livres ; c’est parce que les esprits ont été éclairés qu’ils ont été hardis ; c’est parce qu’ils ont été hardis qu’on a donné des prix à ceux qui feraient passer les mers à leurs blés ; c’est cette liberté qui a fait fleurir tous les arts, et qui a couvert l’Océan de vaisseaux.

À l’égard des folles visions que leur reproche l’auteur du poëme sur la Grâce, il est vrai qu’ils ont abandonné la dispute sur la grâce efficace et suffisante et concomitante ; mais, en récompense, ils ont donné les logarithmes, la position de trois mille étoiles, l’aberration de la lumière, la connaissance physique de cette lumière même, le calcul qu’on appelle de l’infini, et la loi mathématique par laquelle tous les globes du monde gravitent les uns sur les autres. Il faut avouer que la Sorbonne, quoique très-supérieure, n’a pas encore fait de telles découvertes.

Cette petite envie de se faire valoir en invectivant contre son siècle, en voulant ramener les hommes de la nourriture du pain à celle du gland, en répétant sans cesse et hors de propos de misérables lieux communs, ne fera pas fortune dorénavant.

Il est ridicule de penser qu’une nation éclairée ne soit pas plus heureuse qu’une nation ignorante.

Il est affreux d’insinuer que la tolérance est dangereuse, quand nous voyons à nos portes l’Angleterre et la Hollande peuplées et enrichies par cette tolérance, et de beaux royaumes dépeuplés et incultes par l’opinion contraire.

La persécution contre les hommes qui pensent librement ne vient pas de ce qu’on croit ces hommes dangereux, car assurément aucun d’eux n’a jamais ameuté quatre gredins dans la place Maubert, ni dans la grand’salle. Aucun philosophe n’a jamais parlé ni à Jacques Clément, ni à Barrière, ni à Chastel, ni à Ravaillac, ni à Damiens.

  1. Chant VI, vers 130-32.