Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome24.djvu/133

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Aucun philosophe n’a empêché qu’on payât les impôts nécessaires à la défense de l’État ; et, lorsqu’autrefois on promenait la châsse de sainte Geneviève par les rues de Paris pour avoir de la pluie ou du beau temps, aucun philosophe n’a troublé la procession ; et, quand les convulsionnaires ont demandé les saints secours, aucun philosophe ne leur a donné des coups de bûche.

Quand les jésuites ont employé la calomnie, les confessions, et les lettres de cachet, contre tous ceux qu’ils accusaient d’être jansénistes, c’est-à-dire d’être leurs ennemis ; quand les jansénistes se sont vengés ensuite comme ils ont pu des insolentes persécutions des jésuites, les philosophes ne se sont mêlés en aucune façon de ces querelles ; ils les ont rendues méprisables, et par là ils ont rendu à la nation un service éternel.

Si une bulle, écrite en mauvais latin et scellée de l’anneau du pêcheur, ne décide plus du destin d’un État ; si un légat du côté [1] ne vient plus donner des ordres à nos rois et lever des décimes sur nos peuples, à qui en a-t-on l’obligation ? Aux maximes du chancelier de L’Hospital, qui était philosophe ; aux écrits de Gerson, qui était aussi philosophe ; aux lumières de l’avocat général Cugnières [2], qui passa pour un philosophe, et surtout aux solides écrits de nos jours, qui ont jeté un si énorme ridicule sur la sottise de nos pères qu’il est désormais impossible à leurs enfants d’être aussi sots qu’eux.

Les vrais gens de lettres et les vrais philosophes ont beaucoup plus mérité du genre humain que les Orphée, les Hercule et les Thésée : car il est plus beau et plus difficile d’arracher des hommes civilisés à leurs préjugés que de civiliser des hommes grossiers, plus rare de corriger que d’instituer.

D’où vient donc la rage de quelques bourgeois et de quelques petits écrivains subalternes contre les citoyens les plus estimables et les plus utiles ? C’est que ces bourgeois et ces petits écrivains ont bien senti, dans le fond de leur cœur, qu’ils étaient méprisables aux yeux des hommes de génie ; c’est qu’ils ont eu la hardiesse d’être jaloux : un homme accoutumé à être loué dans l’obscurité de son petit cercle devient furieux quand il est méprisé au grand jour.

Aman voulut faire pendre tous les Juifs, parce que Mardochée ne lui avait pas fait la révérence. Acanthos voudrait faire brûler

  1. Légat a latere : voyez la note, tome XI, page 362.
  2. Voyez tome XVII, page 46.