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SUR LA NOL'VELLE IlÉLOÏSE. 169

Vous sentez, moDsieur, qu'où ne peut mieux connaître, ni peindre plus parfaitement les sociétés de Paris, ni s'exprimer avec plus de délicatesse. II voit tout, il observe tout dans Paris; il ne parle que de ses belles observations à sa maîtresse, tant il est affamé de transports. « J'assignerai, dit-il, les différences à mesure que je parcourrai les autres pays, comme on décrit l'olivier sur un saule, ou le palmier sur un sapin. »

Remarquez surtout , monsieur, que tout ce qu'il craint dans Paris, c'est d'avoir contribué pour sa part aux désordres qu'il y remarque. Il tremble de n'y être qu'un bourgeois, parce qu'il a l'honneur d'être citoyen de Genève; et il attend le moment où il pourra décrire en Angleterre l'olivier sur le saule, en soupirant de temps à autre pour les beaux yeux de sa Julie : car il est bien ennuyé de voir des Français cpii sont autant de marionnettes clouées sur la mêmeplanchc. La nécessité d'avoir un carrosse est surtout ce qui l'effraye ; il prétend qu'un carrosse n'est pas tant pour se conduire que pour exister: il se conduit pourtant quelquefois en carrosse; mais il est très-indigné de la manière intrèpidp et curieuse dont les femmes fixent les gens. Il remarque surtout que la gorge d'une femme n'est point à elle, qu'il a bien l'art de les observer, et que cet art n'est pas difficile vis-à-vis des femmes de Paris.

Dans ses curieuses observations, il trouve que les airs de notre musique ressemblent tout à fait à la course d'une oie grasse ou d'une vache qui galope. Enfin il donne dans le persifiage de ses amis.

Voilà, monsieur, une partie des expressions sublimes qui m'ont frappé dans le premier et le second volume de la Xouvelle Hùloïse de Jean-Jacques Rousseau , ouvrage dans lequel cet homme se met si noblement au-dessus des règles de la langue et des bien- séances , et daigne y marquer un profond mépris pour notre nation. C'est un service qu'il nous rend, puisqu'il nous corrigera. Mais, en attendant que nous lui en fassions de très-humbles remer- ciements, permettez-moi davoir l'honneur de vous dire dans ma première lettre ce que c'est que ce roman , et vous verrez si le fonds est digne du style.

^ J'ai l'honneur d'être, monsieur, avec les sentiments delà plus tendre vénération.

Votre très-humble et très-obéissant serviteur,

Le marquis de Ximexez.

50« janvier 17G1.

1. Dans le manuscrit dont j'ai parlé dans l'Avertissement, la fin de cette lettre est de la main de Ximenez, et porte: «A Lyon, ce 20" janvier 1701.» (B.)

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